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d’une grande cuve de pierre remplie d’eau jusqu’au bord, se tenait un vieillard coiffé d’une mitre basse et vêtu d’une dalmatique écarlate, brodée d’or. De son maigre visage pendait une longue barbe. Il avait l’air humble et doux sous son riche costume. C’était l’évêque Vivantius, qui, prince exilé de l’église de Cyrène, exerçait pour vivre le métier de tisserand et fabriquait de grossières étoiles de poil de chèvre. Deux pauvres enfans se tenaient debout à ses côtes. Tout proche, une vieille négresse présentait déployée une petite robe blanche. Ahmès, ayant posé l’enfant à terre, s’agenouilla devant l’évêque et dit :

— Mon père, voici la petite âme, la fille de mon âme. Je te l’amène afin que selon ta promesse, et s’il plait à la Sérénité, tu lui donnes le baptême de vie.

À ces mots, l’évêque, ayant ouvert les bras, laissa voir ses mains mutilées. Il avait eu les ongles arrachés en confessant la foi aux jours de l’épreuve. Thaïs eut peur et se jeta dans les bras d’ Ahmès. Mais le prêtre la rassura par des paroles caressantes :

— Ne crains rien, petite bien-aimée. Tu as ici un père selon l’esprit, Ahmès, qu’on nomme Théodore parmi les vivans, et une douce mère dans la grâce qui t’a préparé de ses mains une robe blanche.

Et, se tournant vers la négresse :

— Elle se nomme Nitida, ajouta-t-il ; elle est esclave sur cette terre. Mais Jésus l’élèvera dans le ciel au rang de ses épouses. Puis, il interrogea l’enfant néophyte.

— Thaïs, crois-tu en Dieu, le père tout-puissant, en son fils unique qui mourut pour notre salut et en tout ce qu’ont enseigné les apôtres ?

— Oui, répondirent ensemble le nègre et la négresse, qui se tenaient par la main.

Sur l’ordre de l’évêque, Nitida agenouillée dépouilla Thaïs de tous ses vêtemens. L’enfant était nue, une amulette au cou. Le pontife la plongea trois fois dans la cuve baptismale. Les acolytes présentèrent l’huile avec laquelle Vivantius fit les onctions, et le sel dont il posa un grain sur les lèvres de la catéchumène. Puis, ayant essuyé ce corps destiné, à travers tant d’épreuves, à la vie éternelle, l’esclave Nitida le revêtit de la robe blanche qu’elle avait tissue de ses mains. L’évêque donna à tous le baiser de paix, et, la cérémonie terminée, dépouilla ses ornemens sacerdotaux. Quand ils furent tous hors de la crypte, Ahmès dit :

— Il faut nous réjouir en ce jour d’avoir donné une âme au bon Seigneur Dieu ; allons dans la maison qu’habite ta Sérénité, pasteur Vivantius, et livrons-nous à la joie tout le reste de la nuit.