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et les linges et les anges assis sur le tombeau, et j’ai vu la gloire du Ressuscité.

Elle lui demandait :

— Père, pourquoi chantes-tu les anges assis sur le tombeau ?

Et il lui répondait :

— Petite lumière de mes yeux, je chante les anges, parce que Jésus Notre-Seigneur est monté au ciel.

Ahmès était chrétien. Il avait reçu le baptême et on le nommait Théodore dans les banquets des fidèles, où il se rendait secrètement pendant le temps qui lui était laissé pour son sommeil.

En ce temps-là, l’Église subissait l’épreuve suprême. Par l’ordre de l’Empereur, les basiliques étaient renversées, les livres saints bridés, les vases sacrés et les chandeliers fondus. Dépouillés de leurs honneurs, les chrétiens n’attendaient que la mort. La terreur régnait sur la communauté d’Alexandrie ; les prisons regorgeaient de victimes. On contait avec effroi, parmi les fidèles, qu’en Syrie, en Arabie, en Mésopotamie, en Cappadoce, par tout l’Empire, les fouets, les chevalets, les ongles de fer, la croix, les bêtes féroces déchiraient les pontifes et les vierges. Alors Antoine, déjà célèbre par ses visions et ses solitudes, chef et prophète des croyans d’Égypte, fondit comme l’aigle, du haut de son rocher sauvage, sur la ville d’Alexandrie, et, volant d’église en église, embrasa de son feu la communauté tout entière. Invisible aux païens, il était présent à la fois dans toutes les assemblées des chrétiens, soufflant à chacun l’esprit de force et de prudence dont il était animé. La persécution s’exerçait avec une particulière rigueur sur les esclaves. Plusieurs d’entre eux, saisis d’épouvante, reniaient leur foi. D’autres, en plus grand nombre, s’enfuyaient au désert, espérant y vivre soit dans la contemplation, soit dans le brigandage. Cependant Ahmès fréquentait comme de coutume les assemblées, visitait les prisonniers, ensevelissait les martyrs et professait avec joie la religion du Christ. Témoin de ce zèle véritable, le grand Antoine, avant de retourner au désert, pressa l’esclave noir dans ses bras et lui donna le baiser de paix.

Quand Thaïs eut sept ans, Ahmès commença à lui parler de Dieu.

— Le bon Seigneur Dieu, lui dit-il, vivait dans le ciel comme un Pharaon sous les tentes de son harem et sous les arbres de ses jardins. Il était l’ancien des anciens et plus vieux que le monde, et n’avait qu’un fils, le prince Jésus, qu’il aimait de tout son cœur et qui passait en beauté les vierges et les anges. Et le bon Seigneur Dieu dit au prince Jésus :

— Quitte mon harem et mon palais, et mes dattiers et mes fontaines vives. Descends sur la terre pour le bien des hommes. Là,