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pour garder à la production nationale son principal débouché. Cela était trop roué pour n’être pas naïf. Il est difficile d’entrer avec fracas dans une ligue contre un pays et, en même temps, de conclure avec ce pays une alliance commerciale. Un traité de commerce avec les amis de l’Allemagne semble à beaucoup de Français un jeu de dupe. Ils se représentaient mal les Italiens réclamant, dans une dépêche, l’accès de notre marché, et dans une autre, assurant à nos adversaires le concours de leurs armées. Pour le grossier bon sens de nos bourgeois, ce sont là combinaisons bien subtiles. Si les Italiens ont besoin de débouchés, disent nos Lorrains et nos Bourguignons, qu’ils en cherchent auprès de leurs alliés les Allemands. — L’Allemagne, par malheur, est peu disposée à sacrifier ses intérêts ou ses préjugés économiques à l’amitié de ses partners d’outre-mont. L’alliance italo-prussienne n’a pas valu à la péninsule la plus mince concession commerciale. Aujourd’hui même, le Zollverein allemand frappe les produits italiens, les vins notamment, de droits plus élevés que le tarif français ; et l’Allemagne est réputée l’alliée de l’Italie, et personne ne songe à incriminer ses tarifs. Elle ne fait rien pour alléger les souffrances de l’agriculture italienne ; elle se contente d’occuper, sur les marchés de la péninsule, la place enlevée à l’industrie française. L’Allemagne, dans ce litige commercial, est le tertius gundens. On comprend qu’elle s’applaudisse de la résiliation du traité de 1881 ; c’est tout profit pour son industrie, aussi bien que pour sa politique.

Il serait déraisonnable à l’alliée de la Prusse de nous demander plus de souci de son bien-être que ne lui en témoignent les Allemands. Si elle souffre, la faute n’en est pas à nous, mais bien plutôt à son hostilité contre nous ; elle est à ce qu’un Italien, M. Jacini, nomme la megalomania, à cette manie des grandeurs non moins funeste aux peuples qu’aux individus. Certes, il y a quelque chose d’attristant dans les souffrances d’une grande et noble nation, naguère notre amie, alors même que, aigrie contre nous, elle nous fait des reproches immérités. Avez-vous jamais vu une femme aimée, longtemps malade et injustement malheureuse, arrachée avec peine au deuil et à la mort, retomber tout à coup par sa propre imprudence, s’étiolant lentement devant vous, par sa faute, et vous accusant de sa rechute ? Tel est, je l’avoue, le sentiment que j’ai ressenti, lors de ma dernière visite à l’Italie, car l’enchanteresse est de celles qu’on aime comme une femme. Le spectacle est particulièrement pénible pour les Français qui s’étaient réjouis de sa résurrection, escomptant au profit de l’Europe le rajeunissement de son libre génie. Ce qu’il y a peut-être, pour nous, de plus douloureux, c’est que sa politique nous défend de nous laisser aller à notre attendrissement. Le bouvier de la Maremme ou le pâtre de