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« truisme, » il serait difficile de voir là un moyen d’améliorer les finances du royaume.

Il y a deux États en Europe dont, depuis quelques années, la gestion financière a été singulièrement défectueuse ; l’un est l’Italie, l’autre est la France. Les deux nations sœurs se ressemblent par plus d’un trait de famille ; toutes deux ont un train dépensier. Mais, entre elles, il y a une différence : la France a une richesse accumulée et une capacité d’épargne que ne possède pas sa voisine. La France est encore assez riche pour payer les fantaisies ou les folies de ses gouvernans. Si l’État français est prodigue, le peuple français est économe. Tandis que l’État s’endette et s’appauvrit, les particuliers ont continué à s’enrichir et à épargner. La crise agricole et industrielle, le phylloxéra, la chute du Panama et du Comptoir d’escompte n’ont pas empêché la France d’accroître ses réserves. A-t-elle perdu, depuis deux ou trois ans, sur ses fonds italiens, elle a gagné sur ses fonds étrangers des deux mondes, sur les fonds espagnols, portugais, russes, autrichiens, hongrois, égyptiens, argentins. Le gouffre financier que son gouvernement s’est amusé à creuser sous ses pieds, la France a, malgré tout, de quoi le combler. Quelques années de bon gouvernement y suffiraient. Si la richesse est un des premiers élémens de la puissance des États, la France n’a jamais été aussi puissante qu’aujourd’hui. Vous qui, de la tour Eiffel, avez contemplé le Champ de Mars, n’est-ce pas votre avis ?

L’Italie, aussi, veut être une grande puissance ; elle en a le droit et elle en a les élémens ; à une condition, c’est qu’elle ménage ses forces. Or, de l’avis de ses meilleurs amis, ce n’est point ce qu’elle fait, depuis quelques années. Sous prétexte de se fortifier dans le présent, elle s’affaiblit pour l’avenir. Où la conduira cette politique ? se demande M. Gladstone ; à la puissance ou à l’impuissance ? to power or to impotence ? L’Italie, ajoute le représentant du Midlothian, est encore an infant state ; chez cet État enfant, ce qui doit devenir des os n’est présentement que cartilage. Et, reprenant la même pensée sous différentes formes, M. Gladstone compare l’Italie aux chevaux qu’on fait courir trop jeunes et qui sont contraints de renoncer au turf, après avoir perdu le prix. Ce qui menace la péninsule, c’est le mal le plus grave qui puisse frapper la jeunesse, un arrêt de croissance. Il y a quelques mois, à Rome, je contemplais avec tristesse, sur l’emplacement des vertes murailles de cyprès et de lauriers de la villa Ludovisi, de massives maisons à cinq ou six étages, aux murs de briques blanchis à la chaux. À ces espèces de casernes ouvrières, il ne manquait guère, pour être habitables, que des toits et des fenêtres.