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grand ou petit, monarchie ou république, dont les fonds n’aient bénéficié d’une hausse considérable. J’ai beau parcourir la cote des Bourses européennes, je ne découvre qu’une exception, les fonds italiens. Au milieu de la hausse générale des valeurs d’État, les rentes italiennes ont été seules à baisser ou à demeurer stationnaires, ce qui, devant la hausse universelle, revient au même. Tandis que le crédit, de la France, de l’Autriche-Hongrie, des pays scandinaves, de la Russie, de l’Espagne, du Portugal, de la Grèce, de l’Egypte, de la Turquie même, que le crédit du Brésil, du Chili, de la République argentine, de l’Uruguay, du Mexique, s’améliorait d’une manière sensible, tandis que la plupart des États européens ou américains procédaient à de fructueuses conversions, le 5 pour 100 italien retombait au-dessous du pair, qu’il promettait de dépasser, il y a peu d’années encore. Le grand phénomène de la diminution du taux de l’intérêt, qui affecte tous les États civilisés et allège tous les budgets, semble ne pas avoir atteint l’Italie. La péninsule semble rester en dehors du mouvement économique contemporain. Et cette remarque ne s’applique pas uniquement aux fonds de l’État italien, mais à la plupart des valeurs italiennes : chemins de fer, banques, sociétés financières, mobilières ou immobilières. Ce seul fait montre que l’Europe, que les capitaux internationaux, français, anglais, hollandais, belges, allemands même, n’envisagent pas la triple alliance comme une garantie de sécurité et de prospérité pour l’Italie. Les capitaux ne font guère de politique, surtout de politique sentimentale ; ils ne connaissent guère les sympathies et les antipathies nationales ; ils sont positifs, ils sont défians : ils redoutent les risques. S’ils se sont éloignés de l’Italie, c’est que la politique italienne a excité leurs appréhensions.

Telle est la conséquence de la place prise par l’Italie dans « la ligue de la paix. » Que représente, pour les capitaux, l’intimité de la maison de Savoie et des Hohenzollern ? Elle représente deux choses : au dedans, des charges budgétaires ; au dehors, des chances de guerre. La politique d’union étroite avec Berlin a ainsi porté un double coup aux finances italiennes. Il semble qu’une alliance conclue en vue de la paix doive avoir pour effet de mettre un pays à l’abri des charges de la guerre en lui assurant, en cas de péril, le concours des États alliés. Or, en Italie, l’alliance allemande a produit des effets tout opposés. Au lieu de permettre aux Italiens de diminuer ou d’arrêter leurs dépenses militaires, elle les contraint à les accroître sans cesse, pour se mettre au niveau des exigences de Berlin. On nous dit que ces armemens à outrance sont le moyen de garantir la paix ; ce paradoxe serait-il un