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de sérieux dans la discussion, le plus de compétence dans les affaires, le plus de dignité dans la tenue et dans les joutes oratoires. Ce n’est point que le parlementarisme italien n’ait, lui aussi, ses défauts et ses mécomptes. Le Sénat y a encore moins d’influence et d’autorité qu’en France. A la Chambre, les bancs des députés sont d’ordinaire vides. En dehors des grands jours, les orateurs n’ont d’auditeurs que les huissiers et les sténographes. On a vu, au cours d’une discussion, demander la parole par télégramme, de Naples ou de Florence. Chose plus grave, les partis sont en décomposition ; la gauche et la droite ont été mêlées et défaites par le Itransformisme de M. Depretis, repris à son compte par M. Crispi. Mais la reconstitution, le groupement rationnel des partis est autrement facile qu’en France ; on en voit les élémens, il n’y a qu’à les mettre en œuvre. Des grandes puissances du continent, l’Italie est celle où la liberté politique est le mieux entrée dans les mœurs. C’est là, pour un état moderne, un primato qui vaut mieux que la gloire des armes. Cette supériorité, l’Italie la doit moins au génie ou au patriotisme de ses hommes d’état, les Cavour, les Ricasoli, les Minghetti, qu’aux traditions de sa dynastie et au sens pratique de son peuple.

Voilà bien des avantages pour le jeune royaume. Malheureusement les nations ne vivent pas de politique ; les hommes d’état ont tort de l’oublier. La situation économique de la Péninsule est loin d’être aussi bonne que sa situation politique. C’est là le côté faible du pays ; il a grandi trop vite ; il en a gardé une sorte de maigreur, de gracilité de formes ; il n’a pas eu le temps de prendre du corps. L’aurait-il eu, la politique ne le lui eût pas permis ; elle l’a surmené, elle lui a demandé des efforts excessifs, sans tenir compte de ses forces. L’Italie passe aujourd’hui par une crise économique, suite manifeste de sa politique.

On pourrait dire qu’elle est la victime de la triple alliance ; et comme son gouvernement y tient, comme il en a, hier encore, resserré les nœuds, et qu’il lui serait, aujourd’hui, malaisé de s’en dégager, on peut craindre que, n’en pouvant supporter indéfiniment les charges, la jeune monarchie ne soit pressée d’en tirer parti et ne se voie ainsi entraînée à un coup de tête. Voilà par où l’Italie inquiète l’Europe. Elle se prépare à grands frais à une guerre que personne ne veut lui faire : la guerre ne venant pas, et l’Italie ne pouvant toujours attendre, n’est-il pas à redouter qu’elle ne soit tentée de courir au-devant ? C’est une opinion assez répandue, en tout pays, que les puissances de l’Europe ne peuvent toujours continuer à augmenter leurs arméniens ; que l’heure viendra où, n’ayant plus la force ou la patience de supporter la paix armée, elles préféreront les chances de la guerre. C’est assurément là un