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n’eussent vu, dans le succès de cette manœuvre, qu’une chose : la preuve que rien ne répugne, à la France nouvelle, comme une expédition romaine.

Dirons-nous, pour cela, que la France est indifférente à tout ce qui se passe à Rome ? qu’elle ne s’intéresse pas plus à l’hôte du Vatican qu’au chérif de la Mecque, ou au catholicos des Arméniens ? Non assurément ; un pays qui comprend des millions de catholiques, qui a un concordat avec le saint-siège, qui a des intérêts dans les cinq parties du monde, ne saurait regarder la papauté comme une quantité négligeable. Obligé de traiter et de compter avec le pape, il doit désirer l’indépendance spirituelle de la papauté. C’est ce que souhaite la France et, en cela, elle est d’accord avec tous les états chrétiens, car tous, à Rome, ont le même intérêt à trouver, en face d’eux, un pape libre. La liberté du pape, c’est à l’Italie de montrer que rien ne la menace. S’il y a encore, en Europe, une question pontificale, il ne dépend ni de la France, ni des autres puissances de la supprimer ; cela ne dépend que du Quirinal et du Vatican. La question ne sera définitivement résolue que le jour où ils seront arrivés à se mettre d’accord ; et, après dix-neuf ans, ce jour ne paraît pas proche.

En attendant, beaucoup d’Italiens me semblent se méprendre étrangement sur la question romaine. Ils ne voient pas que leur politique risque de la rouvrir, au lieu de la fermer. Je ne fais pas ici allusion aux tracasseries et aux vexations infligées au pape ou au clergé ; le gouvernement dirigé par M. Crispi semble se plaire à creuser le fossé qu’il aurait tout intérêt à combler. Mais cela est son affaire ; je ne veux parler ici que de l’intervention des puissances. La restauration de la royauté pontificale ne peut plus être la cause, mais seulement la conséquence d’une guerre. Raisonner autrement, c’est méconnaître les faits et renverser la vérité. Aucun état n’entrera en campagne pour replacer Rome sous la domination ecclésiastique ; mais tout état, engagé dans une guerre avec l’Italie, sera contraint de jouer, contre elle, la carte pontificale ; ce sera, pour lui, la carte forcée. Catholique, protestant, schismatique, athée, tout gouvernement provoqué par la péninsule cherchera à la frapper à l’endroit vulnérable, et cet endroit, c’est Rome. M. Crispi, reprenant un mot de Minghetti, affirmait dernièrement que, en cas de guerre générale, l’Italie aurait beaucoup à prendre, rien à perdre. C’est là une contre-vérité. Pour l’Italie, une grande guerre serait tout bonnement la ruine ; cela, parait-il, ne semble rien à ses hommes d’état ; mais ce ne serait pas tout. La banqueroute, la misère, la révolution peut-être, ne seraient pas le seul prix, de sa défaite ; elle mettrait autre chose au jeu : sa capitale.

Il semble qu’un gouvernement, placé en face de pareilles