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coïncider le démembrement de la France avec l’achèvement de l’Italie, si bien que, pour nombre d’Italiens, l’un a paru la condition de l’autre. L’asservissement de Strasbourg leur a semblé le corollaire de la libération de Rome. De naïves voix de prêtres et de femmes n’ont-elles pas, dans leurs gémissemens au Sacré-Cœur, associé Rome et la France ? L’Italie, entrée dans la ville-éternelle par la brèche de la porta Pia, a senti le besoin de s’y fortifier. Elle redoutait les importunes revendications du vieillard qu’elle avait dépossédé ; elle a cru avoir besoin d’une garantie. Elle l’a cherchée auprès des forts, auprès du nouvel empire germanique, à Berlin, et, en échange, elle a donné à l’Allemagne sa garantie pour l’Alsace.

Contre qui cette garantie de Rome, obtenue de Berlin ? Est-ce contre la crosse des prélats et la croix des moines, contre les hallebardes des Suisses de la Scala Regia ou contre les foudres du pontife détrôné ? — Non, paraît-il, c’est contre la France. En vérité, il faut que les peuples se connaissent bien mal les uns les autres ! Imaginer que la France puisse partir en guerre pour rétablir le trône temporel du pape, quel anachronisme ! Songez que c’est contre la république française, contre la république de M. Ferry, de M. Floquet, de M. Clemenceau que l’Italie officielle s’est que obligée de se mettre en garde à Rome. Chaque été, le gouvernement a peine à faire voter le budget des cultes et le maintien d’une ambassade auprès du saint-siège ; la majorité républicaine vote constamment contre les deux crédits. Le parti au pouvoir n’a d’autre lien que la haine de l’église, et l’Italie n’est point rassurée ; elle craint toujours de voir la France se lancer dans une croisade pour les clés de saint Pierre. Un ministre français ne peut démontrer la nécessité d’entretenir un ambassadeur auprès du Vatican, sans qu’au-delà des monts on en prenne ombrage. Les autres puissances, l’Autriche-Hongrie, la Prusse même, les alliées de l’Italie, ont un ambassadeur près du saint-père ; on ne s’en offusque point à la Consulta ou au Monte-Citorio. Ce qu’on trouve tout naturel, de la part des autres gouvernemens, inquiète de la nôtre. La Prusse a pu, à diverses reprises, faire au saint-siège les avances les plus inattendues. L’Italie ne s’en est pas offensée. M. de Bismarck a pu inviter le pontife découronné à intervenir dans les élections allemandes ; il a pu aider Léon Mil à rentrer dans la plus haute partie du rôle politique des papes, en le désignant comme arbitre entre les puissances chrétiennes. La presse reptilienne a pu s’amuser à agiter la question romaine, et le chancelier, faire miroiter aux yeux de la curie des espérances d’intervention diplomatique et de prochaine restauration ; le gouvernement italien, loin de s’en fâcher, en a conclu qu’il était prudent de s’entendre avec