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jeunesse italienne, à nos étudians et à notre drapeau[1]. On les a portés en triomphe. On a dételé les chevaux de leur voiture ; on se serait cru aux jours où les Autrichiens décampaient des Romagnes au bruit du canon de Magenta. A Bologne, dira-t-on, les acclamations des étudians et du peuple s’adressaient moins à la France qu’à la république. Quand le sentiment démocratique n’y eût pas été étranger, jamais un peuple séparé de la France par des haines nationales n’eût fêté ainsi des Français.

Entre la France et l’Italie, qu’on ne nous parle donc pas d’antipathies nationales. Les liens officiels de la triple alliance n’ont pas encore étouffé les vieilles sympathies. La triple alliance est une combinaison politique qui n’a rien à voir avec le sentiment populaire. Ce qui est vrai, c’est que nos amis les plus ardens, ou les plus bruyans, se rencontrent surtout aux deux pôles du monde politique. Il en est de républicains ; il en est de papalins. On sent l’inconvénient pour nous. Cela tend à nous rendre suspects aux partis dynastiques. Il y a là une sorte de fatalité historique qui pèse sur nous depuis un siècle. C’est la rançon de notre grand et double rôle dans l’histoire. En Italie, comme presque partout au dehors, la France est, pour les uns, la mère de la Révolution, pour les autres, la fille aînée de l’Église, deux personnages qu’elle a peine à mettre d’accord, et qui ne plaisent guère plus l’un que l’autre à l’Italie officielle. Pauvre France ! on lui fait, à la fois, les deux reproches opposés ; elle ne se disculpe de l’un qu’en s’exposant à l’autre. On appréhende d’elle l’eau et le feu, le cléricalisme et la démocratie. Les uns la regardent comme un foyer de révolution ; les autres la considèrent comme l’alliée traditionnelle de la papauté, le soldat du pontificat romain. Quelques Italiens nous attribuent, en même temps, les deux qualités, nous mettant dans une main une pique jacobine, un goupillon dans l’autre, se représentant la France sous la figure d’un jésuite coiffé du bonnet rouge.

De là vient que les manifestations faites en faveur de la France la compromettent. On affecte d’y voir des démonstrations hostiles à la monarchie ; ainsi, notamment, des meetings réunis par les « amis de la paix » pour protester contre la triple alliance. La présence des chefs de l’extrême-gauche, l’assistance des sociétés démocratiques, les lettres ou les discours des radicaux français excitent contre ces réunions les défiances du gouvernement. On accuse leurs promoteurs d’avoir moins d’affection pour la paix que de tendresse pour la république. On leur reproche de ne lever leurs pacifiques bannières que pour partir en guerre contre

  1. Voyez, dans la Revue du 1er août 1888, le Huitième Centenaire de l’Université de Bologne, par M. Gaston Boissier.