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persillage des feuilles françaises a parfois été insupportable de suffisance et de fatuité, les insinuations des gazettes italiennes ont été plus perfides ; la défiante imagination de quelques-unes s’est distinguée par l’énormité de ses accusations. A certaines heures, on aurait pu croire qu’il y avait contre nous, dans la péninsule, une campagne de presse, dirigée de Berlin, comme si le trop-plein du « fond des reptiles » s’était déversé par-dessus les Alpes. J’ai rencontré, dans des gazettes réputées sérieuses, les inventions les plus bizarrement odieuses. Ainsi, à la suite d’une collision entre un bateau français et un bateau italien, un journal de ton modéré, il Tempo, de Venise, racontait, en septembre 1888, que les capitaines français avaient reçu, de leur gouvernement, des ordres secrets pour couler par surprise les vapeurs italiens qui pouvaient servir de transports militaires. Autre exemple : combien de journaux de diverses provinces ont annoncé que les cuirassés ou les torpilleurs français devaient fondre à l’improviste, sans déclaration de guerre, sur les ports ou les arsenaux de l’Italie ?

Autre exemple encore. On sait combien il y a d’ouvriers italiens en France. Ils doivent s’y trouver bien, car ils y affluent en masses compactes. Ils s’y sont presque emparés de certains métiers. L’Italien du nord, le Piémontais, comme on dit chez nous, est le Chinois de l’Europe. Il a une capacité de travail, une sobriété, une régularité que nos ouvriers ont trop souvent perdue. C’est le terrassier piémontais qui a construit presque tous nos nouveaux chemins de fer. Une bonne part des milliards du plan Freycinet est passée dans sa large ceinture. Sans lui, ce plan, de ruineuse mémoire, fût demeuré inexécuté. En apportant leurs bras à la France, ces Italiens lui apportaient du travail à bon marché. Le gouvernement, les chefs d’industrie devaient s’en féliciter ; l’ouvrier français, non. Pour lui, ces étrangers ne sont que des concurrens qui viennent lui enlever son travail et faire baisser son salaire. Comment s’étonner que, sur les chantiers où ils se rencontrent, il y ait des rixes outre les travailleurs des deux nationalités ? Des Français ou des Allemands viendraient par escouades disputer les constructions de Rome aux maçons italiens, qu’ils risqueraient fort d’être accueillis à coups de stylet. Or, ces querelles inévitables entre ouvriers indigènes et ouvriers étrangers, certaine presse italienne s’est plu à les représenter comme un complot organisé. On a dénoncé la « chasse à l’Italien » et la « barbarie française, » comme s’il y avait là autre chose qu’une de ces questions de concurrence et de salaire sur lesquelles les peuples entendent difficilement raison. Le fait mérite d’autant plus d’être signalé, que les ouvriers italiens s’obstinant, malgré les conseils de leurs journaux, à venir chercher leur vie sur cette sauvage terre de France, les conflits d’ouvriers ne peuvent manquer