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sont toujours des conseils, des insinuations, ou des suggestions. Allons plus loin : tout ce qu’ils expliquent, ils l’excusent, dès qu’en le représentant ils ne le condamnent point ; et tout, ce qu’ils ne condamnent point, c’est comme s’ils disaient, non pas peut-être qu’ils l’approuvent, mais à tout le moins qu’ils le trouvent naturel et indifférent. Et on les conjure enfin, pour l’honneur des lettres, de ne pas considérer leur art comme un baladinage et de ne point se traiter eux-mêmes comme de simples amuseurs publics, puisqu’ils croiraient qu’on les insulte eux-mêmes si l’on leur en donnait le nom.

Pour nous, si le roman, puisqu’aussi bien il se transforme, doit en effet sortir un jour du bas naturalisme dans lequel il sera demeuré quinze ou vingt ans embourbé, ce n’est pas d’une autre manière qu’il s’en dégagera, ni par une autre voie. La sympathie, nécessaire à la société, ne l’est pas moins à l’art : elle le devient même chaque jour davantage. Entre autres symptômes qui donnent lieu d’espérer que l’on commence d’en sentir le prix, la Préface du Disciple et le roman lui-même de M. Paul Bourget ne sont pas l’un des moindres. Déjà l’année dernière, nous avions plaisir à noter une modification de la même nature dans le talent de M. de Maupassant, qui plus il avance, plus il devient humain. L’autre jour enfin, à l’Académie française, M. de Vogüé, dans un beau discours, s’appuyait, sans le dire, de ce roman russe dont il a été chez nous l’éloquent introducteur pour exprimer les mêmes espérances. Ce n’était pas le roman seulement, c’était toute la littérature qu’il aimait à nous montrer renouvelée, rajeunie, recréée par la sympathie. A quelles conditions ces espérances se réaliseront-elles ? J’essaierai bientôt de le préciser.


P. BRUNETIÈRE.