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intellectuel M, Paul Bourget les avait abordées, je crains de n’avoir pas assez dit peut-être avec quelle précision de langage philosophique et quelle sévérité de style il les a traitées. Autant d’ailleurs qu’en précision, sa manière, dans le Disciple, a gagné en largeur. S’il n’y a plus ici de ces obscurités qui nous gâtaient quelques pages d’André Cornélis, il n’y a plus trace, même dans les entretiens de Charlotte de Jussat et de Robert Greslou, de ce marivaudage parfois brutal qui gênait encore la lecture dans Mensonges ou dans Crime d’amour. La forme ici vaut le fond ; l’écrivain n’est pas au-dessous du psychologue ou de l’analyste. Et si seulement M. Paul Bourget avait allégé le Disciple de quelques scènes d’un comique assez vulgaire ou assez malheureux, s’il avait eu le courage de sacrifier Mlle Trapenard, et le « père Carbonnet, » je ne vois pas trop où la critique se pourrait prendre. A-t-il voulu la dépister ? et, en l’adressant au concierge de la rue Guy-de-la-Brosse, la détourner du cas d’Adrien Sixte et de Robert Greslou ?

Enfin les milieux, puisque milieux il y a, ne sont pas moins bien observés que les personnages, ni moins fidèlement rendus ; et, plus brièvement, plus discrètement décrits, je les trouve aussi plus réels. Tels sont, la rue Guy-de-la-Brosse, et le quartier du Jardin-des-Plantes, où M. Paul Bourget a logé son philosophe, et dont on dirait une esquisse de Balzac, plus nette et moins chargée. Oh ! le Père Goriot et la description classique de la pension Vauquer, de quelles descriptions ils auront enrichi la topographie de Paris ! Mais je préfère encore quelques paysages d’Auvergne que M. Paul Bourget, de ci, de là, ne s’est pas refusé le plaisir de jeter dans la confession de son abominable Greslou. Non-seulement le poète qu’il fut lui-même, qu’il est toujours, s’y retrouve, mais l’homme n’en est jamais absent, et les sentimens, les idées mêmes s’y déploient en s’y harmonisant. Ce ne sont pas des morceaux que l’on puisse ôter de leur place, des tableautins à la Daudet, des pans de murailles à la Zola : c’est autre chose, de moins puissant peut-être, ou de moins pittoresque, de moins spirituel, mais, en revanche, de plus subtil et de plus pénétrant. Je note encore, dans cette même confession, de jolies descriptions de la vie de château, dépouillées, elles aussi, pour la première fois, de tout cet appareil de meubles et de bibelots dont M. Bourget encombrait volontiers ses salons ; — et j’aurais terminé si je ne tenais à dire quelques mots auparavant de la préface du Disciple.

Elle est curieuse, cette Préface ; elle est surtout significative ; et sans en chicaner la forme, qui pourrait être un peu plus simple, je n’en retiens que le fond, avec une satisfaction dont on me permettra de dire brièvement les motifs. C’est qu’après avoir été traité dix ans de « philistin » ou de « bourgeois » par les dilettantes de la jeune critique, — on est un jeune critique aussi longtemps qu’on traite