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que disait Cobbett était un oracle digne d’être écouté dans un religieux silence par les nations assemblées. De sa Grammaire anglaise à son Traité des forêts, de son Histoire de la réformation à son Manuel du jardinage, il tenait tous ses livres pour des trésors. Il disait : « Toutes les fois qu’on me demande ce que doit lire un jeune homme ou une jeune femme, je réponds : Faites-leur lire tout ce que William Cobbett a écrit. »

Si l’homme à la houppelande rouge faisait le plus grand cas de sa grammaire anglaise, et, sous peine de manquer à son devoir, se croyait tenu de déclarer à l’univers que c’était la meilleure de toutes, il attachait plus de prix encore à ses traités de morale, et il pensait que, pour se guérir des ambitions dangereuses et des sottes vanités, il suffisait de lire ses Sermons et son Économie de la chaumière, Cottage Ecoonomy. « Que de gens, écrivait-il, m’ont remercié avec effusion de mes traités sur les forêts et sur l’horticulture ! Mais rien ne m’a donné tant de joie que la visite d’un homme riche que je n’avais jamais vu, et qui vint me remercier en personne de ce que son fils s’était radicalement corrigé après avoir lu mes sermons sur l’ivrognerie et le jeu. » Il ajoutait : « J’ai déjà rendu de grands services ; mais je crois qu’on a encore besoin des avis que je puis donner. » Et il publia son Avis aux jeunes gens.

Ce livre, où il enseigne l’art d’être parfaitement sage et parfaitement heureux, avait été traduit en français, il y a quarante-quatre ans, par un Genevois, M. Vernes-Prescott, et Vinet avait consacré à cette traduction et à l’intéressante notice qui l’accompagnait un article exquis comme tout ce qui sortait de cette plume si pure, si chastement délicate. La première édition était depuis longtemps épuisée ; on vient d’en publier une autre, revue avec soin et enrichie de nouveaux documens[1]. Cela m’a fourni l’occasion de relire un livre que j’avais lu dans ma première jeunesse, sans que je puisse me vanter que cette lecture m’eût rendu parfaitement sage. Au risque de me brouiller avec M. Vernes-Prescott, j’oserai dire que la sagesse de Cobbett m’a toujours paru fort courte, que c’est une de ces sagesses qui me font aimer la folie.

Je ne veux pas être injuste, et je crois sentir tout le mérite de Cobbett. Son désagréable, mais légitime orgueil, était celui d’un homme qui avait fait son chemin sans que personne l’aidât, d’un autodidacte qui se devait tout à lui-même. Fils d’un petit fermier actif, industrieux autant qu’honnête et économe, on ne le laissa pas manger le « pain de

  1. Avis aux jeunes gens et aux jeunes femmes, par William Cobbett, traduit de l’anglais et précédé d’une vie de l’auteur, par F. Vernes-Prescott. Paris, 1889 ; librairie