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dégagée, et surtout parce que son âme ne se déclare pas encore. Il faut chercher l’absente. Vaine recherche ! dira-t-on. Et que faisons-nous donc, quand nous nous penchons sur le berceau d’un nouveau-né, pour épier l’éveil de l’âme ? Nous ne nous effrayons pas des retards, car nous avons la certitude qu’elle illuminera ce petit animal inconscient, comme elle avait jadis illuminé l’aïeule ; et pourtant nous sommes impatiens d’en surprendre les premières révélations. C’est avec ces sentimens naturels et contradictoires que nous interrogerons la ville de fer, la ville cosmopolite et savante, bâtie par nous à notre ressemblance.

Avant d’aller plus loin, je devrais peut-être donner place à un préambule obligé pour quiconque exprime sa pensée sur l’Exposition. Je trouverais sans difficulté dans les casiers de notre imprimeur les deux clichés entre lesquels on a le choix.

Cliché numéro un. — L’Exposition du Centenaire de la Révolution française (ne craignez pas de redoubler les r) nous montre les bienfaits de cette révolution réalisés dans un épanouissement magnifique. La galerie des machines et la tour Eiffel étaient en germe dans la Déclaration des droits de l’homme. Seul l’accord fécond de la liberté et de la démocratie pouvait enfanter ces merveilles, seul le régime républicain pouvait donner ce grand spectacle au monde. — Citoyens, des urnes vous attendent au sortir du Champ de Mars ; si vous êtes satisfaits de ce que vous avez vu, aux urnes pour la République !

Cliché numéro deux. — L’Exposition (que nous voudrions bien avoir faite) a avorté, parce qu’elle était associée à la commémoration des plus mauvais jours de notre histoire. Ce n’est qu’une vaste fête foraine, indigne de la France ; elle n’offre rien de neuf, et le goût du laid s’y étale. Cependant l’effort qu’elle atteste nous apprend ce dont notre peuple serait capable sous un bon gouvernement, monarchie ou empire. — Peuple, ne te laisse pas distraire par l’Exposition ; aux urnes pour la monarchie ou l’empire !

Il y aurait un grave inconvénient à développer l’une ou l’autre de ces thèses : la moitié des lecteurs me fausserait compagnie. Le bon sens public est si las de voir mêler la politique où elle n’a que faire ! Ecoutez les propos de la foule qui envahit le Champ de Mars ; les uns s’instruisent, les autres s’amusent, tous admirent ; on vante M. Berger, M. Alphand, M. Contamin, M. Eiffel ; personne ne pense à l’ingénieux abbé Sieyès, ni aux continuateurs qui travaillent aujourd’hui dans sa partie, pour grossir le carton où s’entassent nos constitutions. Personne ne s’avise d’établir un rapport quelconque entre nos crises d’épilepsie politique et la saine dépense de labeur d’où est sortie l’Exposition. Si l’on interrogeait sur la genèse de