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à travers cette encyclopédie mes curiosités et mes ignorances, tâchant de rassasier les unes et d’éclairer un peu les autres. Le jour de la fermeture arrivera, et nous n’aurons peut-être rien vu de « ce qu’il faut voir, » comme disent les guides ; mais, on fait de guides, je préférerai toujours la méthode d’Hérodote et de Montaigne, qui est de n’en avoir pas, à celle de Bœdeker et de Murray. Les aspects pittoresques, les souvenirs que fait remonter une vision du pays parcouru jadis, les impressions des foules, et surtout les idées latentes sous les formes sensibles, voilà ce qui nous arrêtera, ce qui ne nous laissera peut-être pas le temps de regarder aux vitrines. L’Exposition n’est si amusante que parce qu’elle est un immense magasin d’idées.

On a quelque peine à s’y reconnaître tout d’abord. Les grandes lignes du plan matériel sont simples et facilement saisissables ; celles de l’architecture intellectuelle ne se dégagent pas si aisément. Nous avons tous éprouvé, aux premières visites, cette sensation du trop-plein dans l’œil et dans l’esprit ; il semblait que la pupille ne fût pas assez large pour recevoir et distinguer tant d’images, le cerveau pas assez solide pour résister à des pressions trop fortes, trop multiples. Remettons à plus tard les jugemens d’ensemble. Entrons là sans parti-pris d’aucune sorte, comme on pénètre dans un musée où sont réunis les témoins d’une époque mal connue. Au cours de notre enquête, nous aurons quelque chance de découvrir, l’un après l’autre, les traits généraux qui constituent la physionomie de cette époque ; en arrivant au terme du voyage, nous pourrons peut-être recomposer la figure vivante et ressemblante. Il faudra bien l’essayer ; partis pour faire le tour du monde, nous ferons avant tout le tour de France et le tour du siècle. On nous y a conviés expressément, en ouvrant l’Exposition du centenaire. Elle ne serait qu’un divertissement puéril, si l’on n’en prenait pas occasion pour se livrer à cet examen de conscience.

Dès maintenant, et sans préjuger nos découvertes futures, une première inspection nous permet d’affirmer ceci : l’Exposition n’est pas seulement une revue rétrospective, elle est le point de départ d’une infinité de choses neuves. De là sa supériorité sur ses ai nées, son attrait énigmatique et irrésistible. Dans ce chaos monumental qui a surgi du Champ de Mars, dans ces édifices de fer et de tuiles peintes, dans ces machines qui obéissent à un nouveau pouvoir dynamique, dans ces campemens d’hommes de toute race, et surtout dans les nouvelles façons de penser que suggèrent de nouvelles façons de vivre, on aperçoit les linéamens d’une civilisation qui s’ébauche, l’œuf du monde qui sera demain. L’Exposition est