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des ministres gagnés par des largesses à la cause des occupans, la situation eût été moins troublée qu’elle ne l’est à l’heure présente ; les dacoïts n’auraient pas eu de prétextes à de fréquens soulèvemens, et la Chine n’eût pu formuler aucune plainte, puisque le roi régnant eût continué avec la cour de Pékin ses rapports d’un vasselage fictif.

Aujourd’hui, il est beaucoup trop tard pour revenir en arrière, et dût-il en coûter, — ce qui n’est pas douteux, — beaucoup d’or et de vies anglaises, l’annexion reste et doit rester un fait accompli.

Les difficultés avec la Chine ont été, il est vrai, aplanies, mais grâce à des concessions qui sont un véritable triomphe pour la diplomatie des Célestes, L’empire du Milieu qui, méchamment conseillé, nous déclara la guerre lorsque nous sommes entrés au Tonkin, avait les mêmes raisons de mettre flamberge au vent à propos de la Birmanie. Les titres sur lesquels s’appuyait sa prétendue souveraineté ne tenaient pas plus debout que les raisons qu’elle évoquait au sujet des Cochinchinois et des Tonkinois". Ils se fondaient


… Sur l’usage antique et solennel,


adopté par quelques rois asiatiques, d’envoyer des présens au Fils du Ciel. Jadis, l’Annam, notre Tonkin, la Corée et quelques autres petits états asiatiques en faisaient autant. Mais ce n’était plus qu’un acte de politesse à l’égard d’un voisin puissant et non un acte de vasselage.

La Chine semblait aussi avoir oublié que, depuis cent vingt ans, elle avait renoncé à ses anciennes prétentions sur sa voisine. Vers 1440, celle-ci étant restée sans monarque, la nouvelle dynastie des Mings voulut s’emparer du trône vacant et n’y réussit pas. De 1765 il 1769, les Chinois firent quatre nouvelles invasions, sous prétexte de châtier les Shans qui avaient maltraité quelques-uns des leurs. Ils furent encore battus par un général répondant au nom de Maha Thibalthura. Ce guerrier, assurément moins barbare que son nom, eût pu les exterminer ; mais, en homme clément et avisé, il préféra leur laisser la vie en échange d’un traité de paix. Il y eut échange de présens, et il fut convenu que, tous les dix ans, ces cadeaux se renouvelleraient et seraient accompagnés de lettres aussi flatteuses pour le roi de Birmanie que pour l’empereur de Chine. Les présens paraîtront assez mesquins : ils consistaient en quelques pièces de soie, des glaives et des meubles sculptés. Point principal du traité : la route « de l’or et de l’argent, » c’est-à-dire celle de Bhâmo au Yunnan, devait rester ouverte aux deux peuples.