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l’importance. En conséquence, Sa Majesté, notre maître auguste, souhaite qu’un traité d’amitié soit conclu. »

Une clause de ce traité eût mis littéralement le feu aux poudres, si l’occasion d’en brûler se fût offerte. C’était celle qui nous autorisait à introduire des armes chez notre allié par notre frontière du Tonkin. L’Angleterre ne pouvait y consentir ; et elle intima l’ordre au roi Thibô de recevoir un résident de son choix à Mandalay, résident qui contrôlerait tous les actes royaux. Quatre jours étaient accordés au souverain pour faire connaître sa réponse. Celui-ci, disent les Anglais, refusa « verbalement » de répondre, et les hostilités commencèrent aussitôt par une marche sur Ava. Les troupes anglaises, quoique désireuses de combattre, ne rencontrèrent nulle part d’opposans : elles entrèrent dans la capitale sans que le roi en soupçonnât même l’approche. Les ministres, la reine mère et une de ses filles non moins énergique qu’elle, lui avaient caché l’ultimatum et l’invasion du territoire. Les femmes voulaient qu’on se battît à outrance, mais les ministres, croyant encore possible un arrangement, s’y étaient refusés. Indignées, elles leur jetèrent ces mots à la face en plein conseil : « C’est à vous et non à nous de porter des vêtemens de femme ! » Elles ne s’étaient pas trompées sur les dispositions de l’ennemi. Le 1er janvier 1886, lord Dufferin, aussi catégorique que son prédécesseur lord Dalhousie, proclamait en ces termes l’annexion de la haute Birmanie à l’empire des Indes : « Par commandement de la reine-impératrice, il est notifié que les territoires gouvernés jusqu’à ce jour par le roi Thibô ont cessé de lui appartenir, et qu’ils seront administrés tout le temps qu’il plaira à Sa Majesté, par des officiers qui seront désignés à cet effet par le vice-roi et gouverneur de l’Inde. Signé : DUFFERIN. »

Quelques jours avant cette laconique notification, le consul de France avait quitté Mandalay, muni d’un congé de convalescence. Lorsque M. de Bouteiller débarqua à Rangoun pour le remplacer, il apprit qu’il n’y avait plus de Birmanie, et que son malheureux souverain, ne comprenant rien encore à la rapidité et aux causes de son infortune, naviguait sous pavillon anglais en qualité de prisonnier de guerre.

Le 25 novembre 1885, un fort détachement de soldats anglais, commandés par le colonel Sladen, avait entouré le palais, ainsi que les chevaux de frise en bois de teck qui en protégeaient l’accès. Le colonel Sladen, aide de camp du général commandant les troupes d’expédition, demanda au malheureux souverain de se reconnaître prisonnier de l’Angleterre et d’avoir à lui livrer son royaume, son palais et ses trésors. Le roi, absolument ahuri, consentit à tout ce qu’on exigeait de lui, dans la seule espérance qu’il lui serait fait