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larges et aussi éclairées que les siennes, envoya en Europe un certain nombre de jeunes hommes avec mission de s’y instruire. On en vit à l’École centrale, aux Arts et Métiers et à Saint-Cyr. Beaucoup d’officiers de notre armée n’ont sans doute pas oublié le brillant et sympathique Mong-Thou, un de leurs camarades de promotion. Le retour à Mandalay, la capitale birmane, de cette jeunesse enthousiaste de la civilisation d’Occident, eût très certainement produit de grands changemens dans le pays, si le frère du roi, l’initiateur des réformes, n’eût été poignardé, en 1867, par l’un de ses neveux. C’est dans ce temps-là que diverses missions anglaises et françaises parcoururent le nord de la Birmanie, du Siam et du Céleste-Empire pour découvrir lequel de ces trois fleuves, l’Iraouaddy, le Mékong ou le Song-Koï, était le plus navigable de sa source à son embouchure. On a lu ici-même la relation de voyage de M. de Lagrée et de ses compagnons ; les découvertes de Francis Garnier, victime comme tant d’autres de son désir de voir la France devenir une puissance coloniale. J’ai moi-même raconté à cette place l’exploration du vice-consul Margary et son assassinat non loin de Talifou, et le voyage de Jean Dupuis, le moins récompensé des explorateurs, de l’embouchure du fleuve Rouge jusqu’au Yunnan[1].

Toutes ces recherches n’étaient pas sans causer quelques soucis au souverain de la Birmanie, et, croyant que l’Europe lui accorderait son appui dans le cas où l’Angleterre voudrait faire de son royaume ce qu’elle avait fait de l’Hindoustan, il envoya une ambassade à Rome et à Paris pour solliciter des traités de commerce et de paix. L’Italie eut le bon esprit de s’y prêter sans hésitation, et un consul italien vint immédiatement se fixer à Mandalay. La France, elle, ne sut rien conclure, et, devant l’indifférence de cette puissance, Mendoûme-Men ne songea plus qu’à retourner à ses anciennes coutumes de méditation et de chasteté. En vue d’un si grand changement, il se faisait construire un monastère immense, avec l’intention de l’habiter, lorsqu’il mourut, le 1er octobre 1878. Ce fut une grande perte que la mort de ce sage, car il pressentait bien que, lui disparu, son royaume serait absorbé par la puissance qui l’enserrait à l’étouffer. Passionné pour les discussions religieuses et philosophiques. Mendoûme-Men aimait à appeler auprès de lui les Anglais de distinction ou de grand savoir qui voyageaient en Asie. Après s’être longuement efforcé de leur démontrer la supériorité de la morale bouddhiste sur la morale des autres religions, il finissait par prouver à ses auditeurs que la façon dont on lui avait enlevé une partie de

  1. Voyez la Revue du 1er mai 1874 et du 15 septembre 1880.