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Anglais ce que les pirates du Tonkin sont aux Français, — soutiennent contre eux.

C’est dans les premières années du XIVe siècle, quand parut la relation du voyage de Marco Polo, que la Birmanie fut un peu connue de l’Europe. Lorsque le célèbre vénitien la parcourut, c’était un état puissant ; il l’avait à peine quittée qu’une armée chinoise faillit en faire la conquête définitive. Le roi birman, vaincu, poursuivi à outrance, dut chercher un refuge à l’extrémité occidentale de ses états, laissant sa capitale, qui alors était Pégou, au pouvoir de l’envahisseur. Celui-ci, il est vrai, s’éloigna, mais pour reparaître et disparaître à plusieurs reprises. Le résultat de ces invasions répétées, des réquisitions incessantes d’un ennemi insatiable, fut la division du royaume de Birmanie on petites monarchies et en minuscules républiques, jusqu’au jour où un roi de Pégou, le victorieux Alompra, en fit la conquête et les réunit de nouveau en un seul royaume. Le premier Anglais qui, sous le règne d’Elisabeth, pénétra dans ces lointaines contrées, se nommait Ralph Fitch. Les Portugais, en ce temps-là, dominaient sur mer, et Ralph Fitch, tout Anglais qu’il était, dut passer par la Syrie pour les éviter et gagner le golfe Persique. Mais le gouverneur d’Ormuz, un Portugais des moins hospitaliers, le mit en prison en l’accusant d’espionnage. Le voyageur, ayant réussi à s’échapper, gagna Agra, où le Grand Mogol tenait alors sa cour. D’Agra, Ralph Fitch descendit le Gange, et après avoir visité les anciennes villes d’Allahabad, Bénarès, Patna et Gaur, il réussit à se faire débarquer à Rangoun, port birman, qui, alors comme de nos jours, était très commerçant.

La ville de Pégou, visitée par Ralph Fitch en 1586, lui parut belle et très populeuse. Elle était défendue par de solides murailles et des marais où abondaient des crocodiles affamés. Elle formait un carré parlait dans lequel on pénétrait par vingt-quatre portes. On y fumait déjà de l’opium, paraît-il, ce qui permet aujourd’hui de dire aux conquérans actuels qu’ils ne peuvent être accusés d’y avoir introduit cette drogue dont les Birmans abusent. Masulipatam, une ville de l’Inde, fournissait aux habitans de Pégou des étoffes de couleurs ; le Bengale leur envoyait ses légers tissus de mousseline. Le bois de santal et la porcelaine leur venaient de Chine. Quant aux rares marchandises européennes qu’ils pouvaient se procurer et qui se composaient de draps et de velours, elles leur arrivaient par Alexandrie et la Mecque. De leur côté, les Birmans, comme au temps de Salomon, exportaient de l’or, de l’argent, des saphirs, des rubis, du musc, du vernis à laquer, du riz et des sucres.