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mer des échanges qui, en objets d’exportation et d’importation, atteignaient déjà le chiffre de 40 millions de francs. Il est vrai que nos voisins étudient avec un soin tout particulier les pays qu’ils s annexent afin d’en tirer le meilleur parti, et qu’ils ne s’en désintéressent pas comme nous. Ils y emploient leur or, une marine qui n’a garde d’épiloguer, leurs soldats, et l’élite de leurs grands seigneurs diplomates.


III

Au nord, les frontières sont mal définies, peu connues ; mais il est certain qu’elles ne dépassent pas le 28e degré de latitude. A l’est, le pays est limitrophe de la riche province chinoise du Yunnan et du royaume de Siam. Au sud et du côté du nord-ouest, il est baigné par les eaux du golfe du Bengale. Depuis la frontière de l’extrême nord jusqu’à la Montagne-Bleue, et sur la frontière est, habitent, au milieu de montagnes boisées et dépourvues de routes, des tribus d’approche difficile et peu civilisées. Dans le nord et le nord-est, elles portent le nom de Kakhyons ; dans l’est et toute son étendue sont les Sharis ; au sud-est, près de la frontière siamoise, entre 19° et 20° de latitude, habitent les Kaiennis. La plus fertile de ces régions est celle qu’habitent les Shans ; indépendamment des essences précieuses de ses forêts, on y trouve les fruits les plus savoureux des tropiques, car chaque village a son jardin où on les cultive avec soin. La rose y fleurit ainsi que le myosotis. L’éléphant, le cheval sauvage, les moutons en troupeaux innombrables, peuplent des plateaux d’une grande étendue et couverts de luxuriantes prairies. L’homme de ces hautes régions est actif, alerte, laborieux, comme le sont les habitans des montagnes. Les Anglais, ainsi que je crois l’avoir indiqué, espèrent bien le voir descendre des hauteurs où il se réfugie depuis un temps immémorial, et cultiver les vallées ; mais ils ont affaire à un être indépendant qui ne voudra pas plus de la domination des nouveaux-venus qu’il n’a voulu de la tyrannie chinoise ou birmane.

Il m’a été possible de parcourir un certain nombre de colonies anglaises et, dans aucune, la sympathie de l’indigène ne s’est manifestée à mes yeux pour les agens et les soldats de la Grande-Bretagne. C’est la terreur qui maintient sous le joug de cette grande puissance tant de peuples divers : il est donc douteux que des tribus, jusqu’ici indomptées, viennent d’un cœur léger se reconnaître les sujets d’étrangers qu’ils détestent à coup sûr, et la preuve en est dans les luttes journalières que les dacoïts, — qui sont aux