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escarpée, rocheuse ou couverte de jungles, au sommet de laquelle ne brille la pyramide blanche ou dorée qui doit préserver le pays et ses alentours des goules et des génies malfaisans, rappeler au passant le Dieu tout-puissant, le divulgateur de la loi divine. Les bords de l’Iraouaddy, des montagnes du nord où est sa source, jusqu’à son embouchure, au sud, sont couverts de ces pieuses constructions. À Pégou, l’ancienne capitale, leur nombre s’élevait, s’il faut en croire la tradition, à près d’un millier. C’est ainsi que l’a dit M. de Maupassant en parlant des blanches koubbas ou tombeaux de marabouts que l’on trouve partout en Algérie et en Tunisie, « comme une graine divine jetée à poignée sur le monde par les semeurs de la foi. » La raison de ce nombre prodigieux de monumens est facile à comprendre lorsqu’on sait qu’un Birman qui fait édifier une pagode est considéré de son vivant comme un saint, et qu’à sa mort, son âme sera affranchie des épreuves de la transmigration. Selon Krishna, l’une des incarnations de Vishnou, il en sera de même « pour les hommes d’intelligence qui se livreront à la méditation ; ils échapperont au lien des générations et iront au séjour du salut. » Marco Polo affirmait déjà de son temps que, si le bouddhisme avait été l’œuvre de Dieu, il eût été la meilleure des religions.

Il est certain que le peuple birman a des vertus qui le rendent sympathique aux Européens. Il est surtout charitable : si un Birman possède une grande fortune, il l’emploie souvent à venir en aide à ses amis malheureux. D’autres fois, ayant fait édifier une pagode dont la construction l’a ruiné, il se retire dans une communauté, y vil pauvre, sans regret de son aisance perdue. On entend répéter souvent, en Birmanie, que la meilleure des prières est celle qui consiste II aimer tout être vivant, qu’il soit petit ou grand. Cette aimable façon de prier est poussée à l’extrême. C’est ainsi qu’on s’abstiendra d’y boire du fait pour ne pas en priver le petit veau ou la génisse que la vache nourrit. Un spectacle assez ordinaire est celui de voir une femme allaitant à la fois son enfant et un agneau qui a perdu sa mère. Qui lui affirmera que l’agneau qu’elle élève n’est pas la demeure temporaire de l’âme d’un être aimé, celle d’un frère ou d’une sœur morts et envoie de transmigration ? De là ce respect pour ce qui a une âme, un tabernacle de vie. Le roi Mendoûme-Mon, un vrai sage, père du dernier souverain, pouvait affirmer qu’il n’avait jamais donné un ordre d’exécution. C’était vrai ; mais il disait à son premier ministre : « Un tel est-il encore de ce monde ? » Et lorsque le premier ministre répondait : « Non ! » le sage Mendoûme-Men souriait, sachant dès lors qu’une tête humaine avait été tranchée.