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termes précis des aspirations jusqu’alors plus ou moins vagues, de faire passer dans la pratique ce qui était demeuré à l’état de promesse incertaine ou de simple projet. Reste à savoir si l’Institut, tel qu’il fut originairement organisé, satisfaisait de tous points aux besoins auxquels on entendait pourvoir et si, à force de tout réduire au principe de l’unité, de tout subordonner à des conditions de solidarité et de fonction commune, on n’arrivait pas en réalité à exagérer la logique et par là à restreindre d’autant l’étendue des moyens d’action.

On ne saurait trop le redire, la réunion dans un corps unique des principaux représentans des lettres, des sciences et des arts était, nu point de vue théorique, une innovation aussi heureuse qu’elle se trouvait dans la pratique bien justifiée par les nécessités de l’heure présente et par les désastres qu’il s’agissait de réparer. Après tant de bouleversemens et de ruines, il y avait à la fois une expiation des méfaits récemment commis et un hommage éclatant aux droits et à la dignité des savans et des artistes dans l’établissement de cet Institut où les talens dotons les genres devaient être rapprochés les uns des autres, et, en raison de l’uniformité même du titre qui les récompensait, également recommandés à l’estime publique. Tout ne se bornait pas, d’ailleurs, à ces privilèges honorifiques. L’Institut n’était pas seulement une sorte de Panthéon ouvert à des vivans d’élite pour qu’ils s’y reposassent dans leur gloire ; c’était aussi et surtout, — les articles de la loi organique et du règlement primitif en font foi, — un atelier où des ouvriers particulièrement habiles devaient, « par des recherches non interrompues, par la publication des découvertes, par la correspondance avec les sociétés savantes et étrangères, » travailler à la diffusion des lumières, prendre l’initiative de tous les progrès ou seconder tous les efforts « ayant pour objet l’utilité générale et la gloire de la république[1]. » Rien de mieux : mais fallait-il pour cela, dans les affaires intérieures de la communauté, faire intervenir au même titre, appliquer à la même tâche, investir des mêmes droits, des hommes que leurs occupations spéciales et leur compétence limitée rendaient forcément impropres à trancher des questions d’ordres très différens ou à apprécier avec une égale sûreté de jugement tous les genres de mérite ? Convenait-il, par exemple, que, comme le prescrivait l’article 10, les nominations aux places vacantes dans chaque classe fussent faites, non par les membres de la classe même, mais par l’Institut tout entier, en sorte que dans un scrutin ouvert pour l’élection d’un mathématicien ou d’un artiste les voix de ceux qui n’étaient ni artistes ni mathématiciens pesaient du même poids et

  1. Loi du 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), titre IV, art. Ier.