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On ne finirait pas si l’on se condamnait à rapporter ici toutes les résolutions ineptes ou cruelles prises dans les assemblées qui se succèdent, à l’époque révolutionnaire, depuis la Commune des arts et la Société républicaine jusqu’au Jury des arts, lequel d’ailleurs ne tarda pas à échanger son titre contre celui de Club révolutionnaire des arts. Il était temps, grandement temps, qu’une digue fût imposée à ce débordement de colères aveugles et de sottises.

En décrétant l’établissement de l’Institut de France, la Convention nationale renoua dans une certaine mesure la chaîne interrompue de nos traditions. Elle s’inspirait des exemples du passé pour restaurer, dans le triple domaine des sciences, des lettres et des arts, le crédit des plus expérimentés et les privilèges des plus dignes. Après les tristes épreuves qui venaient d’être faites d’un régime institué en haine des anciennes académies, elle empruntait à ces académies mêmes, à ces compagnies qu’elle avait naguère condamnées, quelque chose de leurs conditions essentielles et de l’organisation particulière à chacune d’elles ; mais ce qui lui appartenait en propre, ce qu’il y avait d’entièrement nouveau dans la conception de son œuvre, c’était l’idée, la grande et belle idée de réunir en un seul faisceau des forces qui jusqu’alors s’étaient exercées séparément, de les employer au même titre, de les diriger vers le même but, et par là de montrer que toutes les productions de l’esprit humain se tiennent, comme tous les progrès qui en résultent ou tous les succès qu’elles procurent sont solidaires les uns des autres. Voilà ce qui donne à l’acte législatif du 25 octobre 1795 sa signification caractéristique et sa haute originalité.

Le décret que la Convention nationale rendait ainsi à son grand honneur la veille même du jour où elle allait se dissoudre, cette « première charte de l’Institut, » suivant l’expression de M. Rossi[1], ne faisait au reste que réaliser un vœu exprimé, nous l’avons dit, par la Convention elle-même, lors de la suppression des Académies et que, antérieurement à cette époque, Mirabeau et Talleyrand (en 1790), Condorcet (en 1792), n’avaient pas laissé pour leur propre compte de mêler à leurs attaques contre les corps savans ou littéraires anciennement établis. Le mérite de la loi édictée à la suite du rapport présenté par Daunou[2] était de résumer dans des

  1. Discours prononce dans la séance publique annuelle de l’Académie des sciences morales et politiques, le 27 juin 1840.
  2. De tous les hommes qui coopérèrent à la fondation de l’Institut, Daunou a plus de titres qu’aucun autre à la reconnaissance pour ses services et au respect pour son caractère. C’est lui qui, dans le comité d’instruction publique, concourut avec le plus de zèle aux travaux préparatoires ou les dirigea avec le plus d’autorité ; c’est lui qui, le plan général une fois adopté par ses collègues du comité, lui donna sa forme pratique et le fit décréter par la Convention.