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REVUE DES DEUX MONDES.


— Nicias, dit-il, je n’ai point renié ce que tu appelles faussement la superstition chrétienne, et qui est la vérité des vérités. Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Tout a été fait par lui et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui. En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes.

— Cher Paphnuce, répondit Nicias, qui venait de revêtir une tunique parfumée, penses-tu m’étonner en récitant des paroles assemblées sans art et qui ne sont qu’un vain murmure ? As-tu oublié que je suis moi-même quelque peu philosophe ? Et penses-tu me contenter avec quelques lambeaux arrachés par des hommes ignorans à la pourpre d’Amélius, quand Amélius, Porphyre et Plotin, dans toute leur gloire, ne me contentent pas ? Les systèmes construits par les sages ne sont que des contes imaginés pour amuser l’éternelle enfance des hommes. Il faut s’en divertir comme des contes de l’Ane, du Cuvier, de la Matrone d’Éphèse ou de toute autre fable milésienne.

Et, prenant son hôte par le bras, il l’entraîna dans une salle où des milliers de papyrus étaient roulés dans des corbeilles.

— Voici ma bibliothèque, dit-il ; elle contient une faible partie des systèmes que les philosophes ont construits pour expliquer le monde. Le Sérapéum lui-même, dans sa richesse, ne les renferme pas tous. Hélas ! ce ne sont que des rêves de malades.

Il força son hôte à prendre place dans une chaise d’ivoire et s’assit lui-même. Paphnuce promena sur les livres de la bibliothèque un regard sombre et dit :

— Il faut les brûler tous.

— O doux hôte, ce serait dommage ! répondit Nicias. Car les rêves des malades sont parfois amusans. D’ailleurs, s’il fallait détruire tous les rêves et toutes les visions des hommes, la terre perdrait ses formes et ses couleurs, et nous nous endormirions tous dans une morne stupidité.

Paphnuce poursuivait sa pensée :

— Il est certain que les doctrines des païens ne sont que de vains mensonges. Mais Dieu, qui est la vérité, s’est révélé aux hommes par des miracles. Et il s’est fait chair et il a habité parmi nous.

Nicias répondit :

— Tu parles excellemment, chère tête de Paphnuce, quand tu dis qu’il s’est fait chair. Un Dieu qui pense, qui parle, qui agit, qui se promène dans la nature comme l’antique Ulysse sur la mer glauque, est tout à fait un homme. Comment peux-tu croire à ce nouveau Jupiter, quand les marmots d’Athènes, au temps de Périclès,