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pour lui une épreuve assez grave qui est peut-être loin d’être finie. Les discussions des chambres, soit sur les questions économiques, soit sur le suffrage universel, avaient pris un tel caractère, surtout par suite de l’intervention directe, active, du président du congrès, M. Martos, contre le gouvernement ; les passions s’étaient si violemment déployées en plein parlement, que le ministère avait cru prudent de demander à la reine régente une suspension temporaire des cortès. C’était un expédient du moment, une trêve de quelques jours laissée à la réflexion. On se flattait, pendant ce temps, de dissiper l’orage parlementaire, de négocier une apparence de réconciliation entre la majorité ministérielle irritée contre son président, et M. Martos qui avait été, à la dernière séance, assailli des plus violens outrages par ceux-là mêmes qui l’avaient élevé à la présidence. On a bien négocié en effet, on paraît avoir employé toutes les ressources de la diplomatie parlementaire : on n’est arrivé à rien. M. Martos, qui croyait avoir droit à une réparation pour les injures dont il avait été l’objet, n’a voulu rien entendre et a persisté dans son hostilité contre la politique du gouvernement ; la majorité paraissait plus irritée que jamais contre son président. La rupture était complète. M. Sagasta, en reprenant la session un instant interrompue, était exposé à se retrouver en face des mêmes explosions, des mêmes scènes, de difficultés peut-être aggravées, et, pour se tirer d’embarras, il a eu recours à un expédient nouveau. Il a demandé ù la reine la clôture de la session et l’ouverture immédiate d’une session nouvelle. La reine a tout accordé. De cette façon, M. Martos cesse régulièrement d’être président, le congrès élit un autre bureau, choisit un autre président, — et M. Sagasta se flatte d’échapper II un conflit sans issue ; il espère obtenir du congrès des discussions moins orageuses et le vote de ses projets.

Reste à savoir si le calcul est aussi juste qu’il paraît habile ; c’est possible ; c’est peut-être aussi une illusion. Un subterfuge ne tranche pas les questions qui s’agitent entre les partis, qui vont probablement soulever les mêmes passions dans une chambre qui reste aujourd’hui ce qu’elle était hier. La difficulté, pour le président du conseil de Madrid, n’est pas précisément d’avoir une majorité, qu’il retrouvera sans doute. La difficulté pour M. Sagasta est de se maintenir en face d’une coalition qui grossit sans cesse et compte déjà les chefs les plus éminens du parlement, qui est assez bariolée sans doute, mais pas plus que la majorité ministérielle elle-même, et qui forme une opposition armée de tous les griefs politiques et agricoles. M. Sagasta peut se trouver placé avant peu entre l’obligation d’une dissolution, qui n’est pas sans péril, et la nécessité de recomposer son ministère pour désarmer quelques-uns de ses adversaires, pour désorganiser la coalition qui le menace. Il connaît la tactique, il en a déjà usé ; mais combien