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qu’il s’agit de soumettre et d’associer à l’action européenne ? À ces questions le Tour du monde fournit les meilleures réponses. De là l’utilité supérieure et vraiment pratique d’une publication qui, sans doute, au moment où elle a été entreprise, avait de moins hautes visées. Il y a donc autant de profit que d’agrément à suivre un pareil guide à travers le monde. C’est une course à vol d’oiseau. Il faut choisir pourtant, car l’espace nous est mesuré. Vers quel point de la rose des vents donnerons-nous le premier coup d’aile ? Puisque nous avons le champ libre, allons droit à la Chine, où m’attirent d’anciens souvenirs. J’ai abordé la terre chinoise en 1844, il y a près d’un demi-siècle ! Ce n’est pas la Chine qui a vieilli. Il n’y avait, en ce temps-là, ni paquebots, ni canal de Suez, ni Tour du monde. Les missionnaires catholiques avaient le monopole du Céleste-Empire. Les voyages en Chine, ou, comme on disait autrefois, « à la Chine, » ne se sont laïcisés que plus tard. Ils sont maintenant devenus presque vulgaires, grâce à la vapeur qui supprime les distances, et à la guerre qui nécessairement rapproche les nations. Pour un touriste qui date de 1844, il n’est pas sans intérêt de rafraîchir ses impressions aux récits des voyageurs qui ont plus récemment visité la Chine, et l’ont vue telle que l’ont faite les incidens diplomatiques et militaires auxquels la France a pris, depuis trente ans, la plus grande part.

La Chine, qui passe pour la plus ancienne nation du monde, en a été, jusqu’au milieu du XIXe siècle, la moins connue. C’est la guerre anglaise de 1840, ce sont les missions diplomatiques de 1843 à 1848, puis encore la guerre anglo-française de 1860, qui l’ont ouverte aux regards européens. Je me souviens de l’accès de curiosité qui accueillit, à leur retour, en 1846, les membres de l’ambassade de M. de Lagrené, qui venait de conclure le premier traité de paix et de commerce entre la France et la Chine. On nous adressait des questions de toutes sortes sur ce peuple étrange qui n’était représenté que par des peintures de paravent. La plupart d’entre nous publièrent alors le récit de leur voyage, et l’on fut passablement surpris de lire dans ces relations, pour lesquelles nous ne nous étions certes pas donné le mot, que le peuple chinois était tout autre qu’une collection de magots. Nous avions rencontre là-bas des mandarins polis, lettrés et très avisés, des commerçans habiles et honnêtes, des cultivateurs émérites, des ouvriers infatigables, d’excellens marins. Il ne nous avait pas été possible de démêler, dans un coup d’œil trop rapide, comment cette nation de 300 millions d’âmes pouvait tenir, se gouverner ou être gouvernée en paix, se suffisant à elle-même, sans souci des événemens extérieurs, ou plutôt avec la résolution, commune au gouvernement et au peuple,