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cela, m’a-t-on dit, qu’on fait les révolutions ; le reste, les principes, les maximes, n’est qu’une enseigne. En Chine, tous les emplois sont au concours, chacun peut devenir mandarin. Nos pères n’ont pas remis le gouvernement à l’élection, c’est-à-dire au nombre, à l’ignorance, à la brigue, mais à l’étude, à la science. Encore un rêve de vos philosophes que la Chine a réalisé. Nos examens et nos concours assurent le pouvoir aux plus dignes, et, satisfaisant toutes les ambitions légitimes ; ils nous garantissent la paix sociale. En nous conformant à l’expérience de nos aïeux, nous faisons vivre en paix, sur un sol restreint, 500 millions d’hommes. Lequel de vos États occidentaux, avec ou sans les principes de 1789, en ferait autant ? Croyez-moi : la vieille Chine a du bon ; imitez-la. La Révolution ne sera close, et les peuples tranquilles, que le jour où le monde sera une vaste Chine. »


A la boutade du Céleste répondirent des applaudissemens de belle humeur, mêles au bruit des adieux. On se retirait en se donnant rendez-vous au prochain congrès. Il ne restait plus dans la salle que quelques retardataires, groupés, debout, autour d’un jeune Russe, qui, jusque-là, avait gardé le silence, comme s’il eût craint de se compromettre : « Ces Chinois, disait le Russe, en allumant sa dernière papyrox, trouvent que vous êtes des enfans ; à nous autres Slaves, vous semblez des vieillards. Le rôle de l’Occident, latin ou germanique, est fini. La Révolution française est de l’histoire ancienne. Il faudra au XXe siècle autre chose que l’héritage du XVIIIe. Nous pouvons le dire franchement à nos amis de France : nous ne devons rien, nous Russes, à 1789 ; nous n’en attendons rien. En réalité, depuis Pierre le Grand et l’introduction en Russie des arts mécaniques, nous n’avons rien à prendre à l’Europe. La Révolution française ne nous fournirait que des vieilleries ; et comme le disait Aksakof, nous n’avons que faire de la friperie démodée de l’Occident. 1789 n’a donné au monde que des formules et des maximes, c’est-à-dire des mots et des déceptions. La Révolution politique, religieuse, sociale, qu’attend l’humanité, ne viendra pas de l’Occident. L’Occident, quoiqu’en pensent les Célestes, est trop vieux, et ce n’est pas aux vieux à faire les révolutions. Je ne dis pas comme nos slavophiles, que l’Occident est pourri ; mais il est usé, cassé ; il n’a plus la force génératrice, il est impuissant ; ses révolutions stériles en sont la preuve. Il y a de la sénilité dans le solennel radotage de ses parlemens. A l’humanité, il faut du neuf, et c’est aux jeunes à lui en donner. La Révolution française a été la Révolution de l’Occident ; elle n’est que la préface de la grande Révolution. Celtes, Anglo-Saxons, Teutons, Hellènes,