Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/897

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de laboratoire, ou mieux s’ingéniant à remplacer chez elle les fonctions de la vie par des opérations mécaniques, la respiration ou la circulation naturelles par une circulation et une respiration artificielles. Comment, après cela, s’étonner de la débilité des institutions françaises ? Au lieu d’être formées d’élémens organiques, de cellules vivantes, élaborées par la nature, ce sont des pièces inertes, fabriquées par la loi, et dépourvues de vie propre.

« Est-ce tout ? Est-ce uniquement l’esprit de la Révolution, sa méthode, ses procédés, sa conception de la société et de l’État qui ne sont plus d’accord avec nos théories scientifiques ? Non, hélas ! c’est aussi, dans une certaine mesure, les principes de 1789, noble héritage dont la France est justement fière. Au lieu de découler directement de la nature, ces principes vont, en réalité, contre le courant des lois de la nature. Sur quoi repose, aujourd’hui, l’idée d’évolution ? Sur le struggle for life, sur la concurrence vitale. Qui ne voit quel trouble jette dans les idées de la Révolution cette lutte pour la vie, imposée aux hommes et aux peuples, comme aux inconsciens du règne animal ou végétal. Liberté, égalité, fraternité, les grands principes en sont tous affectés. S’ils n’en sont pas ruinés, ils ne peuvent plus être qu’un idéal humain, poursuivi à l’encontre de la nature aveugle, et non une application rationnelle des lois naturelles. Si la doctrine de l’évolution a fortifié la foi au progrès, elle en a renversé les données. Le chemin qu’elle lui a marqué est au rebours de celui pris par la Révolution. Non seulement le progrès ne peut se faire par sauts ; mais, dans l’humanité, comme dans tout le monde organique, le progrès ne s’accomplit que par sélection, c’est-à-dire par une élite ; s’il n’exige pas l’élimination des faibles, il veut le triomphe des mieux doués. Rien de plus contraire à la science que le nivellement démocratique et l’égalité absolue ; la nature est aristocratique, elle attend tout des meilleurs. Pendant que la Révolution s’insurgeait contre le principe d’hérédité, la science donnait à l’hérédité une place prédominante dans la nature ; elle en faisait le facteur le plus important du monde organique, l’instrument de transformation et de perfectionnement des êtres vivans. Matérielle ou intellectuelle, toute supériorité a son principe dans la naissance, dans la transmission ou l’accumulation des qualités et des aptitudes. Le darwinisme a fourni des argumens aux partisans de la hiérarchie, de la subordination des organes sociaux et des classes. Pour le transformiste, la spécialisation héréditaire des fonctions serait peut-être le système le plus conforme à la nature. En tout cas, s’il est une vérité démontrée, c’est que les races, les intelligences, les capacités ne sont pas égales, partant qu’on ne saurait considérer les hommes