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les Français n’eussent nettement conçu la patrie française. Et la tradition ne s’en est jamais perdue. Effacée au XVIIe siècle, elle reparaissait au XVIIIe. A Florence, à Naples, à Milan, nos philosophes, nos économistes, dédaigneux des spéculations de cabinet, travaillaient à refaire une Italie en refaisant un peuple italien. Déjà on rêvait, autour de la maison de Savoie, de confédération italienne ; déjà Giannone avait attaqué la monarchie pontificale. Longtemps avant 1789, Verri, dans son Café, dissertait sur l’unification nationale, et Alfiecri exaltait en mâles vers romains le patriotisme italien. Si notre peuple accueillait avec enthousiasme la révolution française, c’est qu’il en attendait l’affranchissement de la patrie. Nous ne lui demandions que d’appliquer chez nous ses propres principes ; De nos déceptions vint la réaction anti française : le Misogallo d’Alfieri, le Jacopo Ortis de Foscolo.

« Alors même qu’elles paraissent le contre-coup de celles de France, nos révolutions sont fort différentes. L’esprit, comme le but, est tout autre. Au lieu de rompre avec le passé, nous cherchons à nous rattacher au passé, là même où il semble nous manquer. N’ayant pas de monarchie nationale, nous en créons une. Si nous sommes contraints de couper le fil de l’histoire, nous nous ingénions à le renouer. Nous avons de trop grands ancêtres pour les oublier volontiers. Nous sommes toujours plus Latins que Celtes. Nous nous défions des théories ; nous nous en servons sans en être dupes. Nous n’avons que faire des modèles de l’étranger : nous trouvons tout dans nos traditions de l’antiquité ou du moyen âge. République, démocratie, gouvernement de la bourgeoisie ou de la plèbe, du popolo grosso, ou du popolo minuto, nous avons tout essayé, des siècles avant la France. Les expériences qu’elle fait, depuis cent ans, passant d’un gouvernement à un autre, nous les avons faites quanti nous étions enfans, et nous n’avons pas envie de recommencer les écoles de notre jeunesse.

« Que nous a apporté la Révolution française ? Est-ce l’idée de la souveraineté du peuple ? Mais c’est là, chez nous, une vieillerie, une antiquité. On n’a pas besoin de fouilles bien profondes pour la retrouver dans les ruines du Forum, ou sous les tours de nos communes de Toscane, Nous l’avons vue à l’œuvre, en grand et en petit, dans la république romaine et dans nos républiques municipales, et, chaque fois, à Florence comme à Rome, nous l’avons vue aboutira la tyrannie, au principat. La souveraineté du peuple est une notion toute latine. Elle est l’âme du droit romain, la base du pouvoir impérial. Le Digeste le dit expressément : Tous les droits et la puissance du peuple romain ont été transférés au dépositaire de l’autorité impériale. Kl cette délégation s’est faite, au temps