Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/851

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résuite une aversion profonde entre ces deux fractions de la tribu, qui amené des rixes sanglantes, survies de représailles terribles. Quelques Américains prétendent que tenter de les fixer au sol est aussi difficile que de « contraindre les loups à brouter l’herbe et les singes à vivre en société. » En tout cas, l’abus du whisky, la misère croissante et les épidémies paraissent devoir amener leur extinction graduelle, cette dernière cause surtout fait, parmi eux, d’affreux ravages. En 1837, la petite vérole enleva 10,000 victimes parmi les Dakotahs : un clan de 1,600 personnes fut réduit à 31 et des villages entiers devinrent déserts. Le docteur Williamson trace de cette époque néfaste un lamentable tableau : « On n’apercevait de toutes parts que des morts et des agonisans, des huttes dont il ne sortait plus de fumée ; des enfans affamés errant auprès des froides dépouilles de leurs parens ; des corbeaux et des loups déchirant les cadavres abandonnés sans sépultures. Chez les Arickarées, très fiers de leur beauté, des guerriers, se trouvant défigurés après leur guérison, se précipitaient du haut des rochers ou se donnaient la mort à coups de poignard. »

Nous ne parlerons que pour mémoire de certaines familles rouges éparses dans des réserves de quelques milles carrés. Ces épaves de tribus, enclavées quelquefois dans les états les plus peuplés de l’Union, fondent au contact des blancs. Tels sont, par exemple, les Peaux-Rouges de certaines réserves établies aux bords des grands lacs ou même dans l’Etat de New-York.

Un jour (c’était en 1865), le hasard nous conduisit au bord de l’Hudson, entre New-York et Albany. À cette hauteur, les falaises ne tombent plus perpendiculairement dans le fleuve, comme aux environs du tombeau du général Grant. La prairie, bordée de sapins, vient, par une déclivité insensible, mourir dans l’eau.

C’était le soir : la brise rayait de légères ondulations la vaste nappe de l’Hudson. On entendait au loin le beuglement des bestiaux qui rentraient du pâturage, et, par intervalles, les locomotives grondaient sur les rails en déposant sur les prairies de petits panaches de vapeur. Accroupi sur l’herbe, un Indien paraissait méditer profondément. Deux plumes d’aigle teintes de vermillon se dressaient dans ses cheveux tordus. Ce n’est pas qu’il eût scalpé deux ennemis ; un tel ornement n’avait plus maintenant aucune signification. Au lieu de tenir à la main un tomahawk rougi du sang des pionniers, il ne possédait qu’un mauvais fusil de traite incapable de servir à la chasse des moineaux. Depuis longtemps, il ne combattait plus ; il mendiait pour vivre, grignotant çà et, là quelques épis de maïs que de bons samaritains lui distribuaient encore. C’était bien un représentant de ces hommes inertes devant la force,