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exterminent dans une embuscade ces blancs sans défiance. De quel côté mettre les torts ? Il est malaisé de le décider. Les employés eux-mêmes du bureau des affaires indiennes, rompus à ces sortes de querelles, se déclarent impuissans à démêler l’imbroglio. Que fait alors le gouvernement ? Soucieux de sauvegarder les prérogatives de la race blanche, en l’absence de toute enquête rendue impraticable par la mort des victimes et la disparition des meurtriers, il prend fait et cause pour les traders : les troupes fédérales saccagent le territoire, incendient les huttes, embryons des villages futurs et ne renoncent à la poursuite des fuyards que lorsque les Indiens implorent la cessation des hostilités.

Dès lors, commence la spoliation méthodique des Peaux-Rouges, devant un chef de la tribu vaincue. Après la défaite, l’humiliation ; il faut abandonner les terres, sauf une réserve, dont les agens du gouvernement fédéral jalonnent les limites. La tribu est désormais prisonnière.

En revanche, l’Etat lui paie une pension ; il lui délivre des bestiaux, des matériaux de toute sorte, des instrumens aratoires[1]. Par aventure, les vaincus consentent-ils à labourer cette terre qu’ils se contentaient jusqu’ici de fouler aux pieds de leurs chevaux ? l’Union reconnaîtra cet acte de soumission et de bon vouloir ; si la saison est mauvaise et que la récolte manque, elle fournira des subsides et nourrira la tribu pendant l’année.

Mais le gouvernement de Washington n’ignore pas que l’on amuse les hommes avec des sermens. Aussi, n’en exige-t-il aucun de ces misérables sauvages. Il nomme auprès d’eux des agens chargés de la surveillance et du contrôle. Ces fonctionnaires délivrent des passeports aux indigènes désireux, pour un motif valable, de franchir les limites du territoire. Un blanc manifeste-t-il l’intention de trafiquer avec eux ? L’agent accorde, s’il le juge convenable, l’autorisation nécessaire, sauf à tarifer les objets d’échange, afin de tarir la source des abus ; par tous les moyens, il s’efforce de vaincre la répugnance invincible que les Peaux-Rouges montrent pour la culture et d’inculquer à ces nomades un amour de la terre égal à celui du Tonkinois pour sa rizière, du fellah pour le limon du Nil et du Pyrénéen pour le sol ingrat qu’il défend avec ardeur contre les eaux torrentueuses du gave. Enfin, un poste militaire établi à proximité de l’agence prête main-forte aux fonctionnaires de l’Union, réprime les désordres et fait respecter les règlemens.

Les Indiens n’ont jamais vendu qu’à la dernière extrémité ce sol

  1. Pendant nombre d’années (à partir de 1839), les Osages reçurent annuellement 1,000 charrues, 1,000 chevaux harnachés et 1,000 vaches.