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l’émigration primitive et les courses vagabondes qui précédèrent leur établissement dans la vallée du Mississipi.

Voici le récit, d’après les Chichimecs : « Nos ancêtres, retranchés au fond de noires cavernes dans un pays glacé, s’embarquèrent sur la mer couverte de banquises et fouettée par les vents ; tous auraient, péri dans un naufrage, si des oiseaux de proie ne les avaient enlevés dans leurs serres. Ces sauveurs inespérés les déposèrent sur un rivage inconnu, où, montés sur de très grands animaux, ils atteignirent le Mississipi. Deux chefs conduisaient cet exode : l’un était Manco-Capac, l’autre Quetzalcoatl. » Le premier fut le fondateur de l’empire des Incas ; l’autre devint le chef du royaume des Aztèques.

Les Chickasaws sont tout aussi affirmatifs ; mais, ici, un chien et un bâton guidaient la migration de la tribu. L’animal, toujours en avant, signalait, par ses aboiemens, l’approche du danger. Chaque soir, au terme de la course, les émigrans plantaient en terre un bâton qui s’inclinait, pendant la nuit, dans la direction à suivre. Un jour enfin, dans la vallée du Mississipi, le bâton resta vertical et la horde mit un terme à sa marche.

Les Indiens ne montrent un goût très prononcé que pour les légendes guerrières, et cette tradition n’aurait vraisemblablement pas survécu aux luttes innombrables entre blancs et rouges, si la pictographie ne leur avait fourni le moyen de la conserver. Partout on rencontre des hiéroglyphes à l’état rudimentaire gravés sur des écorces d’arbre ou sur les rochers. Presque tous les Peaux-Rouges déchiffrent aisément ces signes naïfs, dont le groupement et la succession constituent les archives des familles, les annales de la tribu et le répertoire des traditions.

La légende de l’émigration peut se résumer en quelques mots : 1° les Indiens actuels ne sont pas aborigènes ; 2° ils sont venus d’un pays glacé ; 3° ils ont traversé la mer et se sont établis d’abord dans la vallée du Mississipi.

Sur ces faits, dont la vraisemblance n’échappera pas au lecteur, et étant admis que jamais les migrations humaines n’ont abandonné le pays du soleil pour aller s’enfoncer dans les frimas du Nord, on a bâti l’hypothèse suivante : chassées des autres sibériens par la faim et le froid, les peuplades rouges traversèrent l’Océan dans des pirogues, soit par le détroit de Behring, soit en suivant le cordon des îles Aléoutiennes, que d’épais brouillards cachent le plus souvent, mais où les mugissemens des lions marins groupés sur les plages, annoncent aux navigateurs la proximité de la terre. Elles gagnèrent ainsi l’Alaska, pour se répandre ensuite vers le Sud, où la chaleur les attirait comme l’aimant attire le fer,