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désavouées, mais qui ont été celles des poètes, des philosophes, des artistes de l’Allemagne, il y a près d’un siècle, sa plus pure gloire et le meilleur de son génie. — Dans la notice nécrologique qu’il a consacrée à l’empereur Frédéric, et dont le jeune empereur l’a félicité publiquement, M. de Treitschke nous présente Frédéric III comme un idéologue, prisonnier d’un parti impudent qui prétendait faire d’un Hohenzollern l’empereur des juifs libéraux. « De tous les maux politiques qui pourraient fondre sur nous, le plus redoutable serait un faible gouvernement d’empire qui se courberait sous les doctrines parlementaires du jour. » M. de Treitschke est persuadé que les nécessités de l’État auraient, obligé ce prince à changer ses vues. On peut affirmer que ses tendances libérales auraient eu contre elles ce courant d’opinion et de réaction que M. de Treitschke a si fort contribué à répandre, qui a sa source dans les universités, et qui de là envahit de plus en plus toute la génération contemporaine. Mais les idées que représentait l’empereur Frédéric ne sont pas mortes avec lui, et c’est dans cet antagonisme et dans ces antinomies, dans cette organisation de la guerre et dans ces aspirations à la paix, qu’il faut chercher la cause de l’inquiétude et du malaise qui travaillent sourdement l’Allemagne, et avec elle la plupart des peuples européens.

Nous avons montré en M. de Treitschke l’initiateur par excellence à l’esprit prussien, l’inspirateur de ce patriotisme qui regarde le triomphe de L’État comme la fin suprême de l’action, et l’attachement au souverain, le respect, l’obéissance, la discipline et la haine de l’étranger comme les devoirs sociaux indispensables à cette fin. « On nous croit flegmatiques, nous sommes le plus haineux de tous les peuples. » Cet aveu de M. de Treitschke est confirmé par le témoignage d’un de ses adversaires politiques les plus ardens, qui déplore les résultats de cette propagande prussienne en Allemagne : « Une génération grandit à laquelle le patriotisme n’apparaît que sous le signe de la haine, haine contre tout ce qui n’est pas soumission aveugle au dedans ou au dehors, et qui par son langage tranchant croit devoir rappeler le tranchant de l’épée allemande… Ses provocations, qui s’adressent successivement à toutes les nations, inspirent une antipathie qu’il ne faut pas mépriser[1]. »


J. Bourdeau.
  1. Die Nachfolge Bismarck’s, von Ludwig Bamberger. Berlin, 1889.