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Allemands, ungeheure Rechtlichkeit, qui fait qu’on les a maintenus… » Il faut interpréter la constitution en ce sens que l’empire d’Allemagne n’est pas un état fédératif, mais qu’il se compose d’états secondaires subordonnés à la Prusse sous forme fédérative. Les souverains de ces états n’ont plus de raison d’être : qu’ils se contentent de leurs titres royaux, du rôle de Mécènes, et de la possibilité d’établir leurs filles sur les trônes d’Europe. Il convient, d’ailleurs, de rendre justice à leur patriotisme depuis 1870. Le Bundesrath, corps représentatif des gouvernemens confédérés, a toujours agi en ferme et clairvoyant soutien de la politique impériale ; le Reichstag, au contraire, qui émane directement de la nation, n’a été depuis dix ans qu’une cause de trouble et d’énervement dans l’empire.

Il y a, en effet, un particularisme bien plus à redouter que celui des états, c’est le particularisme des partis s’exerçant dans une assemblée issue du suffrage universel. L’établissement de ce mode de suffrage a été la grande erreur, la capitale faute de M. de Bismarck qu’il est sans doute aujourd’hui le premier à déplorer. En l’instituant, il voulait donner à l’empire comme un sacre démocratique ; il craignait même d’y trouver un courant unitaire trop prononcé : l’événement a dérouté toutes les conjectures. C’est que le chancelier ne connaissait que les pays conservateurs du Nord-Est, mais non les masses catholiques de l’Ouest et le vrai caractère de la démocratie sociale. En Allemagne comme en Italie, l’enthousiasme pour l’unité existe seulement dans les classes éclairées. La masse du peuple, qui dispose du suffrage universel, est moins touchée par les grandes questions de politique nationale que par les intérêts locaux, sociaux, religieux. Tant que les grandes impressions de la guerre franco-allemande ont duré, il y avait au Reichstag une majorité, mais depuis cette majorité n’a été formée que par des coalitions de cléricaux et de radicaux qui n’ont en commun que la haine de l’empire. L’idée de patrie disparaît, et l’unité serait compromise si le gouvernement parlementaire devenait tout-puissant en Allemagne.

M. de Treitschke se pose en adversaire déclaré du parlementarisme. La critique qu’il en fait est passée à l’état de dogme officiel dans l’enseignement des universités et de lieu commun parmi la jeunesse actuelle. Aussi devons-nous y insister. C’est un irrésistible mouvement, analogue à l’introduction du droit romain dans la législation moderne, qui, depuis trois générations, pousse tous les états de l’Europe (hormis la Russie) à adopter les pensées fondamentales du droit public anglais : la forme de gouvernement dite représentative semble donc désormais inévitable. Mais le