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mêlent aux aspirations confuses de l’école historique et romantique dans l’agitation de la Burschenschaft. L’envahissement des théories françaises est encore plus marqué dans les écoles libérales qui se fondent dans l’Allemagne du Sud, grâce à l’Histoire universelle de Rotteck, qui fut longtemps l’évangile des libéraux allemands, et qui exprime bien l’esprit d’opposition de l’époque. L’antipathie de M. de Treitschke contre ce genre de doctrines se donne libre carrière dans le portrait qu’il a tracé de Rotteck, d’après lui un Prudhomme, un Homais imbécile, libéral intolérant et frondeur, plat théoricien de cabinet, qui se rengorge dans la puissance logique, dans l’irréfutabilité dogmatique de ses raisonnemens. Invoquant les droits de la « personnalité libre, » fort de quelques citations de Montesquieu et des déclamations de Rousseau sur l’innocence primitive de l’homme, Rotteck attribue au gouvernement tous les maux de la société, prêche la république aux classes moyennes et rêve pour son pays les constitutions rationalistes sur le modèle français. M. de Treitschke se demande avec effroi ce qui serait advenu si le libéralisme de Rotteck, qui inspirera les tournois oratoires des petites chambres de Carlsruhe et de Darmstadt, s’était implanté en Allemagne, si la Prusse avait livré ses finances, son armée, sa diplomatie aux fantaisies constitutionnelles, principe de faiblesse et de ruine pour le peuple auquel on les empruntait. Mais il ne blâme pas moins vivement l’excès de réaction qui suivit l’assassinat de Kotzebue par Sand, et amena la dissolution de la Burschenschaft. Les conséquences du congrès de Carlsbad furent déplorables. D’une part, la Prusse eut la faiblesse de se laisser entraîner dans cette réaction, et c’est de là que date l’arrogante domination de l’Autriche, qui ne cessera qu’en 1866. D’autre part, cette violence même provoque une opposition bien plus dangereuse que le romantisme révolutionnaire et teuton de la Burschenschaft, et le libéralisme bourgeois de Rotteck : elle détermine en effet le courant francophile, radical et à tendances cosmopolites de la jeune Allemagne. Ce dangereux parti ne disparaîtra qu’en 1850, grâce à la déception causée par la banqueroute de la démocratie française, pour faire place au parti national.

La jeune Allemagne s’empare de la littérature de l’époque, toute sa force de propagande lui vient du judaïsme, des écrits de Bœrne et de Heine, et porto le caractère de cette race, qui joint à l’esprit de caste le plus étroit une action dissolvante sur les sociétés où ils vivent. Il y a en eux un trait de caractère que M. de Treitschke cite avec horreur : c’est cette ironie, cette sempiternelle moquerie de toutes choses et de soi-même, qui est la ruine même de la conscience morale. Nul n’a plus mal parlé des juifs que les juifs