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jour abrogées pour être remises en vigueur le lendemain, forment un chaos presque inextricable. Elles ne sont pas les mêmes pour l’empire et pour le royaume de Pologne, où les juifs ont bénéficié de la tolérance polonaise et des traditions françaises du grand-duché de Varsovie. Aux lois viennent encore s’ajouter des instructions ministérielles et des circulaires secrètes qui les complètent et les modifient, tantôt les adoucissant, tantôt les aggravant. Voilà plus d’un siècle que les partages de la Pologne ont posé à la Russie cette question juive, et la Russie n’a pas encore su la résoudre. L’incohérence de la législation actuelle est reconnue de tous ; chaque règne en promet la refonte. Alexandre III, après Alexandre II, avait confié l’étude de cette réforme à une grande commission qui a siégé, des années, sous la présidence du comte Pahlen. On a annoncé, en 1888, la fin de ses travaux ; puissent-ils ne pas se borner à l’inutile amoncellement d’une montagne de matériaux et donner à la question une solution digne du grand empire et de la magnanimité du souverain ! Nous ne saurions admettre, pour notre part, qu’une commission impériale n’ait été nommée que pour amuser l’Europe et apaiser l’indignation des pays civilisés devant les troubles antisémitiques.


III.

Les juifs sont aujourd’hui traités en étrangers, ou, plus exactement, ils sont traités en régnicoles quant aux obligations, en étrangers quant aux droits. Ce principe a beau n’être pas énoncé dans la législation, le législateur s’en est constamment inspiré. La loi astreint les juifs à toutes les charges des nationaux, impôts et service militaire compris ; elle leur refuse la plénitude des droits civils.

Les plus élémentaires de toutes les libertés, celle du domicile, celle d’aller et de venir, n’existent pas pour le juif. Il n’est pas maître d’habiter où il veut ; le droit de résider ou de voyager dans toutes les parties de l’empire, droit garanti par la loi à tous les autres sujets du tsar, la loi le dénie aux 4 millions d’israélites. Il a une région ouverte aux juifs : l’ancienne Pologne avec quelques goubernies attenantes de la Petite et de la Nouvelle-Russie. C’est là comme un vaste ghetto où les israélites sont rigoureusement cantonnés. Le reste de l’empire, c’est-à-dire toute la Grande-Russie, toute l’ancienne Moscovie, presque toutes les possessions russes d’Europe et d’Asie leur demeurent fermées. Il n’y a d’exception que pour