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le jargon, sorte de patois allemand mêlé de quelques mots hébreux. Ils ont leur littérature et leurs journaux, en russe, en polonais, en allemand, en hébreu ; parfois même leurs théâtres et leurs acteurs.

Sauf une élite qui mène extérieurement la vie des gentils, ces millions de fils d’Abraham sont de stricts observateurs de la loi. Ils n’ont pas moins de religion ou moins d’attachement aux rites que les paysans orthodoxes ou catholiques au milieu desquels ils vivent. Beaucoup, parmi les plus pauvres, occupent leurs loisirs à l’étude de la Thora et du Talmud. En dehors de la Schude ou synagogue, qu’ils fréquentent assidûment, ils ont, pour la prière ou l’étude, de sordides oratoires, appelés minjanim ou beth-kamidrasch. Au lieu de sociétés de jeux ou de musique, les petits juifs des villes de l’Ouest fondent des sociétés pour lire et expliquer en commun les livres hébreux. À Vilna, honorée en Lithuanie du titre de « Mère en Israël, » on comptait naguère plus de vingt chevvo-poalim, ou associations d’artisans israélites, ayant chacune ses Klansen ou chapelles. Certains corps de métiers, les bouchers, les tailleurs, les cordonniers, possèdent plusieurs de ces Klansen. Les bouchers de Vilna entretiennent, en outre, une jeschiva ou école supérieure talmudique, fréquentée par une centaine de bocharim ou étudians en talmud. Il en est de même à Varsovie, à Minsk, à Berditchef, dans tous les centres de la vie juive. Ces pieuses associations sont encouragées par l’idée, commune aux Israélites et aux chrétiens, que la prière à plusieurs a plus d’efficacité. On prie d’ordinaire par groupe, par minjan comptant au moins dix adultes mâles, car, chez les juifs comme chez les musulmans, la religion, ou mieux la dévotion, semble plus grande parmi les hommes que parmi les femmes. Les membres de chaque minjan se réunissent avec les instrumens de la prière, les tephilim ou les taleth, trois fois par jour. L’été, les plus zélés s’assemblent dès l’aurore, à deux ou trois heures du matin, pour la première prière, et les juifs, attardés dans les campagnes, ne disent souvent la dernière qu’à minuit. Chaque checro ou association a son maggid, son lecteur, qu’elle entretient à ses frais. Il y a un grand nombre de ces docteurs de divers degrés : maggid, rar, talmid, dont beaucoup, (comme parfois les rabbins eux-mêmes, vivent du travail de leurs mains. Les rabbins sortis d’écoles officielles, nommés ou confirmés par le gouvernement, inspirent souvent peu de confiance. Les juifs les plus fanatiques, les kabbalistes ou khassidim, ont en outre leurs zadigs, sorte de marabouts Israélites qu’ils entourent d’une vénération