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les lumières des lucioles ; enfin, nous avons une preuve du goût pour le son musical dans la stridulation de la cigale ou du grillon, dans les notes profondes de l’oiseau-cloche, dans le chant aérien de l’alouette ou du rossignol. Et si nous nous élevons jusqu’à notre espèce, le goût des belles formes qu’ont eu nos ancêtres depuis l’origine de l’humanité a sa preuve éclatante dans la grâce et la fraîcheur de la jeune fille ; leur goût des beaux sons a sa preuve dans le timbre pur de sa voix.

Il y a une beauté morale comme il y a une beauté physique ; pourquoi les évolutionnistes s’en sont-ils si-peu préoccupés ? La puissance et l’harmonie des facultés intérieures, ou, comme disaient les Grecs, leur eurythmie, rend, elle aussi, la vie intense, ordonnée, généreuse ; elle n’est pas moins utile à l’individu et à l’espèce que la puissance féconde et l’harmonie des membres, dette utilité devait finir par être instinctivement sentie et recherchée sans calcul. L’homme est devenu un animal moralement esthétique, aimant la beauté intérieure comme il aime les beaux corps. Ces deux espèces de sélection, la naturelle et la sexuelle, qui ont produit le sens de la beauté physique, ont aussi concouru, selon nous, à produire ce sens de la beauté mentale. En premier lieu, les qualités de l’esprit ont eu une utilité croissante dans la lutte de l’homme contre la nature ou contre ses semblables. Si de bons muscles sont une force, une volonté courageuse est une force plus grande encore ; si de bons yeux sont un avantage, une intelligence prévoyante voit encore plus loin. Si les organes fournis par la nature sont des instrumens de victoire, les organes nouveaux créés par l’intelligence, comme l’arc des peuplades primitives, sont des instrumens à plus longue portée. La valeur des qualités mentales a donc été peu à peu appréciée par expérience, puis sentie par instinct. Comme un animal faible en face d’un lion a le sentiment d’une puissance redoutable, un animal peu intelligent devant une intelligence supérieure a le sentiment d’une force devant laquelle il doit ployer. En second lieu, outre la sélection naturelle, la sélection sexuelle a produit ses effets dans le monde psychologique. La femme ne pouvait pas, à la longue, ne pas apprécier les qualités d’énergie, de courage, de réflexion, chez l’homme qui devait être son protecteur. L’homme, de son côté, ne pouvait pas ne pas apprécier les qualités de tendresse, de douceur, de dévoûment, de finesse et de délicatesse chez la femme qui devait être sa compagne et élever ses enfans. La sélection sexuelle par l’amour s’est appliquée et s’appliquera encore à la beauté morale en même temps qu’à la beauté physique. Les qualités essentielles à la famille, et, par la famille, à la race, entrent en ligne de compte dans le calcul inconscient des