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même aux républicains qui s’efforcent de l’entraîner en l’appuyant, il a fini par pousser à bout les conservateurs ; par les ménagemens qu’il est obligé de garder comme chef de gouvernement, comme ministre de la monarchie, il indispose ses alliés prompts à s’émanciper. Joignez à cela les questions qui divisent les partis même en dehors de la politique, les ressentimens personnels, les passions ou les ambitions impatientes : avec ces élémens discordans, on peut toujours s’attendre à de l’imprévu, à des surprises de discussion, à des dissidences ou des défections de majorité, à des conflits sans cesse renaissans.

L’imprévu a éclaté cette fois à l’occasion d’une question politique et d’une question économique qui se sont trouvées réunies par le hasard des circonstances et qui ont suffi pour mettre le feu ou le désarroi dans le parlement. La question politique est ni plus ni moins une proposition de rétablissement du suffrage universel en Espagne. Au fond, M. Sagasta ne se fait peut-être point illusion sur les dangers de cette réforme, sur les difficultés qu’elle peut créer à la monarchie et les crises qu’elle peut susciter ; mais il s’est engagé ou il s’est cru engagé. Il a inscrit le suffrage universel dans son programme, comme le gage le plus décisif donné à ses alliés les démocrates et les républicains. Il ne s’est pas fait scrupule d’écarter bien d’autres réformes, il ne s’est pas cru libre d’ajourner celle-ci, qui n’est pas la moins périlleuse, et il a présenté un projet qui était sur le point d’être discuté. Malheureusement, au moment même où l’on allait aborder le suffrage universel, est survenue une autre question, qui n’est pas moins grave pour le pays, qui touche à tous les intérêts économiques de l’Espagne. Il s’agit d’une proposition faite par le parti conservateur et tendant à rétablir des tarifs de protection pour l’agriculture, à élever les droits sur les céréales, à chercher enfin dans ces ressources nouvelles de quoi combler le déficit du budget. Que les conservateurs, préoccupés depuis longtemps des intérêts agricoles du pays, aient vu de plus, dans leur proposition, une diversion habile, un moyen d’occuper le congrès, de détourner ou d’ajourner la discussion sur le suffrage universel, c’est possible ; il est certain, dans tous les cas, que la proposition était de celles qui devaient inévitablement provoquer une scission dans la majorité ministérielle, parmi les libéraux, dont bon nombre partagent les opinions des conservateurs sur la nécessité d’une politique de protection agricole : C’est ce qui est arrivé en effet. La proposition de M. Villaverde, appuyée par M. Canovas del Castillo, a trouvé des partisans dans la majorité ; et, ce qu’il y a d’assez caractéristique, c’est que ceux qui se sont prononcés pour la politique de protection sont précisément les hommes les plus marquans parmi les libéraux du parlement : un ancien ministre, M. Gamazo, le général Lopez Dominguez, le général Cassola, M. Montero-Rios, le président même du congrès, M. Martos, qui a pris ouvertement et vivement parti contre le gouvernement. De là la gravité de la