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Résultat prouve que je connaissais bien mon terrain. D’ailleurs, on ne passe pas de la faiblesse à la politique de la force sans un peu d’exagération. L’important est que le coup soit porté, et il l’a été en pleine poitrine. »

Est-il besoin de le dire ? M. de Persigny enfonçait des portes ouvertes ; s’il avait réfléchi, il n’eût pas pris au tragique la coalition de l’Autriche et de la Prusse ; ni l’une ni l’autre n’avaient sérieusement envie d’intervenir militairement en Suisse. Elles eussent été fort embarrassées si on les avait prises au mot. En proférant des menaces, elles espéraient émouvoir la France et obtenir par sa pression sur le gouvernement de Berne ce qui leur tenait plus ou moins vivement à cœur. Le baron de Prokesch, en nous dénonçant les menées du cabinet de Berlin en vue d’une action coercitive, ne nous avait-il pas déclaré formellement que son gouvernement ne se laisserait pas entraîner et ne tenterait rien sans s’être concerté avec nous ? Le baron de Schleinitz, de son côté, n’avait pas cessé de nous rassurer sous le manteau de la cheminée. Il ne s’était pas borné à nous envoyer à tour de rôle deux de ses familiers, le ministre de Bade et le ministre de Hesse, pour protester de son esprit de conciliation ; désolé de méprises obstinées, il était venu de sa personne à la légation nous dire que le roi, au fond, se préoccupait médiocrement des réfugiés et que tout se réglerait au gré de nos désirs si le prince président, pour être agréable à sa majesté, voulait, à titre de médiateur, intervenir quelque peu en faveur de ses droits sur Neufchâtel. Ces démarches et ces déclarations montraient qu’on se sentait mal engagé et qu’on n’avait aucune envie de se mesurer avec les Suisses, soutenus et défendus sans nul doute par la France. Il fallait un esprit bien chagrin pour s’y méprendre. Mais M. de Persigny avait la bosse de la combativité ; il voulait, en noircissant le tableau, se donner le mérite d’avoir fait reculer la Prusse. Il ne se fit pas faute du reste d’attribuer à l’habileté de sa diplomatie et à l’énergie de son attitude le revirement qui s’opérait à Berlin depuis qu’à Vienne on affectait de se désintéresser du débat.


G. ROTHAN.