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je parle ne s’est encore révélée que par des protestations et non par des actes; parce que aussi, il faut bien le dire, on aime à se persuader que l’envoyé napoléonien a plus de confiance dans votre force que vous-même. Mais du jour où vous aurez prouvé à l’Europe que vous avez au moins autant de foi dans votre nom que votre représentant, de ce jour, et de ce jour seulement, l’on comptera avec vous. »

Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, celles que notre ministre à Berlin émettait d’une façon si provocante devant les diplomates et les hommes d’état, à la moindre contradiction, étaient pour le moins intempestives. À ce moment, il n’était pas question de la restauration d’un empire, et il eût été habile de ne pas l’évoquer prématurément. Le prince président avait prêté serment à la république, il était en lutte avec l’assemblée nationale et rien ne disait que, s’il devait recourir à un coup d’état, il en sortirait victorieux. Ce n’était pas l’heure de jeter des défis aux puissances. L’Europe ne connaissait que trop le programme du prisonnier de Ham ; ne l’avait-il pas longuement développé dans les Idées napoléoniennes ? L’accentuer sans opportunité, par des commentaires irritans, était maladroit, dangereux. Ce n’était pas préparer les voies à l’empire. Il était évident que les souverains se souviendraient des menaces de M. de Persigny, le jour où Louis Napoléon viendrait, en violation des traités de 1815, leur demander de reconnaître son titre et son hérédité.

Dans ses rares momens de détente, M. de Persigny déplorait ses emportemens; sans descendre à un mea culpa, il s’appliquait à tranquilliser le prince sur la portée de ses incartades. « Je n’ai pas besoin de vous le dire, écrivait-il, j’agis avec toute la prudence que comporte mon rôle. » — Mais le président savait à quoi s’en tenir sur la circonspection de l’interprète de sa pensée ; les échos de toutes les capitales répercutaient ses menaçantes professions de foi. Louis Napoléon plaidait les circonstances atténuantes, il invoquait le dévoûment de son envoyé à sa personne, auprès des ambassadeurs qui venaient à l’Elysée se plaindre de son irascibilité ; mais il n’osait le désavouer, et encore moins le rappeler, car ce que l’un disait tout haut, l’autre le pensait tout bas.

Les emportemens du ministre de France à Berlin mettaient en joie les adversaires de la Prusse. L’opposition de l’Autriche et des cours allemandes contre l’union restreinte s’accentuait ; leur attitude devenait chaque jour plus agressive, tandis que celle des états confédérés devenait plus hésitante. Le baron de Schleinitz s’en alarmait. et pour remettre les choses en état, il chargeait M. de Hatzfeld de protester, à Paris de ses bons sentimens et de