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encore, il n’y en a pas d’autres ; et bien loin d’avoir pour objet de corriger la nature, de lui donner, selon l’expression du temps, le « goût puissant, » le « goût terrible, » le « grand goût, » les principes de l’art ne doivent tendre, en nous apprenant à la mieux voir, qu’à nous faciliter l’imitation de cette nature même. Point de mystères, comme on le croirait à lire les Préfaces de Chapelain, celle de la Pucelle, ou les Examens eux-mêmes du grand Corneille, qui venaient justement de paraître, mais quelques observations très simples, tirées du bon sens ou de l’expérience, et traduites simplement, sans pédantisme ni recherche d’esprit, dans la langue de la nature et de la vérité. Le reste, c’est le temps qui nous l’apprendra :


Si notre astre eu naissant nous a formés poètes :


et l’on sait assez que Boileau lui-même, toutes les fois qu’il l’a fallu, c’est-à-dire aussi souvent que le sujet l’a permis ou demandé, n’a pas craint de pousser le principe à ses presque extrêmes conséquences. On en trouverait la preuve, nu besoin, dans le Lutrin, par exemple, ou encore dans cette Satire des femmes, la moins galante, sans doute, et, si l’on veut, l’une des plus déplaisantes, mais l’une pourtant aussi des meilleures qu’il ait écrites. « Elle étincelle de beautés, » a-t-on pu dire ; et j’ajoute que ce sont des beautés « naturalistes. » Si d’ailleurs j’emploie le mot, c’est qu’il est de la langue du XVIIe siècle, et qu’on en usait dans le sens où nous le prenons encore aujourd’hui pour désigner, — dit un texte précis, — l’opinion qui « estimait nécessaire l’imitation exacte du naturel en toutes choses. »

Mais une question s’élève ici. Chacun de nous a sa manière de voir la nature ; et, d’autre part, on ne déforme la nature, dans un sens ou dans l’autre, on ne la « perfectionne » ou on ne la « dégrade, » on ne fait enfin plus laid ou plus beau que nature, qu’avec des moyens, quels qu’ils soient, qui sont eux-mêmes encore et toujours de la nature. N’y a-t-il pas de certaines gens dont le naturel est de n’en pas avoir ? Prendrons-nous donc à la lettre les deux vers de l’Art poétique :


Il n’eut pas du serpent ni de monstre odieux
Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux ?


et croirons-nous qu’effectivement le « naturalisme » de Boileau s’étende à l’imitation de la nature entière ? Nous nous tromperions gravement ; et, pour vouloir faire Boileau trop moderne ou trop