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en signalant les premières études de M. Friant, les dangers auxquels l’exposerait sa technique minutieuse lorsqu’il voudrait agrandir ses toiles. L’an dernier, les Canotiers de la Meurthe nous avaient frappé par ce manque d’accord entre la sécheresse mince des figures, subtilement détaillées, et la nécessité d’un enveloppement de lumière à la distance que supposait pour l’œil la grandeur de ces figures. M. Friant s’est rendu compte de ce péril ; en agrandissant ses cadres, il a voulu agrandir son style, comme on peut le voir dans son Portrait de Mme F…, mais sans grand succès, ce semble, car quelques-unes des qualités supérieures de M. Friant, qualités de finesse et de pénétration, semblent s’être amoindries à cet effort. Dans sa Toussaint il a certainement mieux réussi. Le vieil aveugle, encapuchonné et ganté, les jambes enveloppées dans une couverture a raies, assis le long du mur blanc, est un morceau excellent ; l’homme qui l’a peint est déjà un maître, car on y trouve, avec la vivacité de l’expression, avec la précision de l’analyse, la netteté et la simplicité d’une exécution ferme et résolue. La file des bourgeois et bourgeoises en deuil qui suivent, portant des pots de fleurs dans les bras, présentait une série de difficultés à résoudre que M. Friant a résolument abordées, mais dont il ne s’est peut-être pas aussi bien tiré. La plus grave était celle de tous ces noirs qu’il fallait animer : chapeaux noirs, vêtemens noirs, robes noires, gants noirs, formant une enveloppe opaque autour des taches rouges des visages, des pots et des fleurs. On peut croire qu’un coloriste plus exercé et plus libre, ne se regardant pas comme l’esclave de la réalité, visant moins au trompe-l’œil photographique, n’eût pas hésité à chercher cette animation à la fois dans une variété et un mouvement plus marqués des étoffes et dans un jeu plus intéressant de la lumière. Cette dureté d’entourage nuit certainement à toute la collection de physionomies, soigneusement étudiées, qui s’en dégagent peu à peu et qui sont des portraits fort ressemblans, d’un fini très particulier et très précis. Il est clair que M. Friant est jusqu’à présent un artiste d’observation plus qu’un artiste d’imagination, et qu’il s’entend mieux à analyser lin morceau qu’à composer un tableau. La Toussaint, en lui assurant la renommée qu’il méritait, doit l’encourager à se montrer plus libre et plus hardi.

C’est un deuil bourgeois que nous montre encore M. Perrandeau, un groupe de parens en pleurs, attendant, dans un petit salon, la Levée du corps. Rien de plus funèbre, rien de plus banal ; mais M. Perrandeau a une leçon simple et pénétrante de peindre ces scènes lugubres qui est assez touchante. Sa peinture calme, bien enveloppée, trop voilée, a toutes les discrétions délicates et