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chargée de noirceurs et de tristesses. Deux femmes, en toilettes d’été, jeunes et souriantes, avec un enfant rose et un chien jaune, se reposent au milieu des bois, dans un gai fouillis de verdure et de fleurs. Il ne faut chercher là ni les délicatesses physiologiques et psychologiques, ni les recherches subtiles de forme qu’on admire chez M. Dagnan. L’impression est tout autre, plus extérieure et plus sensuelle, mais d’une sensualité franche et saine, honnête et joyeuse, et toute pleine, dans son brusque élan, de nuances délicieuses. S’il est des yeux plus sensibles que ceux de M. Roll à l’élégance et à la beauté des formes, il n’en est guère, à l’heure actuelle, de plus finement aiguisés que les siens pour percevoir, dans la nature, les rapports délicats des couleurs.

Nous avons constaté que l’éducation du public s’est beaucoup perfectionnée et qu’on ne le trompe plus si aisément qu’autrefois. Si, celle année, il s’arrête devant les drames ou élégies de MM. Dawanl, Friant, Perrandeau, La Touche, c’est qu’il y a dans ces peintures tristes autre chose qu’une sensibilité littéraire. Tous les quatre sont des artistes de valeur, évidemment convaincus, qui tendent à prendre un bon rang dans leur genre par des qualités réelles d’observation et d’exécution. Le plus ambitieux de tous est M. Dawant qui, dans sa grande toile du Sauvetage, pouvait, s’il avait eu la force nécessaire, brosser une page épique à la façon de Géricault. Sa composition est simple, saisissante, presque grandiose. La haute carcasse cuirassée du navire sauveur, à laquelle sont déjà suspendus, par des cordes battantes, quelques-uns des naufragés, occupant toute la droite de la toile, forme un contraste saisissant, par sa masse rigide, avec le mouvement de la mer furieuse et la petitesse du canot ballotté. Sur ce canot, rempli jusqu’au bord de passagers tremblons, l’effarement est au comble. Le pilote a lâché le câble qu’on lui jetait ; le commandant se dresse avec un geste désespéré ; il y a dans toutes ces têtes d’hommes, de femmes, d’enfans affolés qui se cachent ou qui pleurent, des expressions de terreur soigneusement étudiées et finement rendues. Trop finement rendues, dirons-nous, car en un si grand désordre, quelque désordre énergique du pinceau ne serait pas déplacé. Il reste encore à M. Dawant à acquérir, pour être complètement à la hauteur de semblables tâches, plus de solidité et de largeur dans la touche, plus de franchise et d’éclat dans la couleur.

Dans la Toussaint de M. Friant, l’on voit s’avancer, le long du mur d’un cimetière, une famille bourgeoise en deuil, en tête de laquelle marche une jeune fille qui donne une pièce de monnaie à un mendiant. Cette trop grande toile n’échappe pas complètement à des observations du même genre. Nous avons déjà pressenti,