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atmosphère verdâtre. C’est la Vierge-mère comprise à la moderne, de la même façon qu’à deux pas plus loin, M. Demont-Breton, dans les Lis, comprend le repos de la sainte famille. Ici. les figures tiennent peu de place ; c’est dans le coin d’un jardinet paisible, son jardinet d’ouvrier campagnard, derrière la clôture d’échalas et de feuillages, que le bon charpentier travaille sur son établi, tandis que la douce ménagère dorlote à côté le petit. Sur le devant, se dresse un massif de grands lis épanouis dont le soleil couchant vient rougir de ses lueurs caressantes, les pudiques blancheurs ; des pigeons, à côté, s’endorment sur leur perchoir. Dans le paysage comme dans le tableau de figures, c’est la même paix des choses enveloppant la paix des âmes, le même sentiment humain renouvelant, agrandissant, simplifiant la légende religieuse, l’évangile tel que l’ont conçu, dans tous les temps, les légendes populaires, l’Evangile des petits et celui des artistes. Un artiste allemand, M. Uhde, qui, dans ces dernières années, avec le même esprit, avait renouvelé, on s’en souvient, le Sinite parvulos et la Cène, en des toiles fort remarquables, est moins heureux, cette année, dans son triptyque de la Nuit sainte. Non-seulement les trois scènes n’y présentent qu’un assemblage laborieux de figures, empruntées aux primitifs du XVe siècle, mais ces figures, d’une touche martelée et pénible, disparaissent dans une sorte de pâte terne et boueuse. Il vaut mieux abuser du plein air que de s’emprisonner en de telles opacités.

Le goût chez un peintre ne consiste pas seulement à bien disposer son sujet dans son cadre, et à l’exécuter d’une manière juste, précise et, s’il se peut, profonde : - il consiste encore à savoir approprier les dimensions de ce cadre à l’intérêt de ce sujet et aux qualités de cette exécution. M. Dagnan-Bouveret, dont la facture est plutôt fine, délicate, discrète, la fait d’autant mieux valoir qu’il se tient en des limites plus modestes. Sa Madone même ne perdrait pas à être un peu rapetissée. Il est d’autres artistes, au contraire, moins dessinateurs et plus coloristes, plus sensibles au premier et brusque effet des choses qu’à leur signification intime et délicate, dont le pinceau hardi, rude, primesautier ne s’exerce librement que sur les grandes surfaces. Tel est le cas de M. Roll. Son Taureau conduit par un enfant, dont nous avons parlé, est de grandeur naturelle, et l’exécution, large, forte et robuste, surtout pour la bête, justifie suffisamment ces dimensions. Dans son autre étude, En été, plus intéressante encore, les figures sont présentées dans les mêmes proportions. Cette toile ravit tous les yeux par une fraîcheur vive de coloris toute nouvelle et presque inattendue de la part d’un peintre dont la palette a longtemps été