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d’aucun temps n’ont ni voulu ni pu s’en passer. Pour les décorations, cela va de soi. On fera peut-être, quelque jour, danser, dans un plafond de mairie, une noce en habits noirs et en rubans à fleurs ; nous n’en sommes pas encore là malgré la bonne volonté de toutes les sottises et de toutes les ignorances réunies. M. Léon Glaize ne nous blesserait point en faisant planer deux génies envolés au-dessus des groupes plébéiens qui symbolisent la Famille et le Travail pour la mairie du XXe arrondissement ; M. Urbain Bourgeois nous édifierait même on plaçant à côté de ses jeunes époux, pour le Plafond de la mairie de Limoges, la collection complète des vertus nécessaires à l’hyménée, non-seulement la Fidélité qui se tient assise, comme étant la plus indispensable, mais encore, du côté de l’homme, la Valeur, la Tempérance, la Force, et, du côté de la femme, la Douceur, l’Innocence, la Chasteté. Ces deux estimables peintres n’ont pas malheureusement échappé au danger suspendu sur la tête de tous ceux qui allégorisent : ils sont restés froids. Des allégories moins officielles et plus badines, celle de l’Amour, dominateur de tous les êtres, celle de la Beauté, dominatrice des hommes, n’ont pas communiqué non plus aux talens attentifs et distingués de MM. Gérôme et Emile Lévy, toute la chaleur désirable en pareille occurrence. Le petit Amour de M. Gérôme, un bambin minuscule, doux, frisé, blond et rose, un vrai petit Jésus de crèche de Noël, se présente, son arc d’or à la main, une flammèche au front, dans l’intérieur d’une ménagerie où sont emprisonnées des bêtes fauves. Il suffit que ce dompteur apparaisse pour que les lions, tigres et panthères commencent à ramper, à faire le gros dos, à se traîner, les yeux humides, jusqu’à ses pieds blancs pour les lui lécher. Ces monstres, aux pelages propres et lisses, bien soignés, bien lavés, semblent s’être un peu trop préparés d’avance à cette visite. Nul doute que Rembrandt, Rubens ou Delacroix n’eussent traité cette scène de domptage avec plus de furie. La Circé de M. Lévy, une frêle et longue fille blanche, impudemment déshabillée, se tient assise, toute nue, l’air cynique et froid, les bras relevés au-dessus de la tête, sur un trône de marbre, dans l’atrium d’un palais antique. Devant elle, vautré sur le tapis, courbant sa grosse tête rubiconde et chauve, sous l’orteil de son petit pied nu, se trahie un gros consulaire en manteau de pourpre, qui semble s’assoupir avec volupté dans cette pose déshonorante. Cependant, il y a d’autres cliens ou aspirans qui attendent, derrière la balustrade, à la porte ouverte, un mandarin, un poète, tous des présens à la main, tous gesticulant avec quelque impatience. Le sens est clair, s’il n’est pas