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qu’enhardir sa main. Aujourd’hui il revient à l’art historique avec son Bella matribus delestata. En prenant pour titre ce vers d’Horace, M. Ferrier a déclaré qu’il entendait résolument faire une composition, non historique, mais allégorique, d’une portée générale. Dans ce cas, ce qui est nécessaire avant tout, c’est une ordonnance claire et significative, frappant les yeux et saisissant les esprits, sans autre explication. Sous ce rapport M. Ferrier s’est fort bien tiré d’affaire. Au premier plan, sur les débris d’une maison incendiée dont la muraille fume encore, deux groupes de figures nues ; au milieu, une jeune femme à genoux étreignant dans ses bras un enfant effaré, tandis qu’un autre, plus grand, se serre contre elle en se cachant les yeux ; sur la droite, une autre femme, debout, échevelée, pressant aussi un jeune garçon contre son sein, et, sur le devant, un couple de jeunes époux étendus sans vie sur le sol, près d’une vieille grand’mère, ridée et blanche, à genoux. les trois femmes, en pleurs, gémissantes, regardent vers la gauche où galope en contre-bas, dans un nuage de poussière, de flammes, de fumée, une troupe confuse et hurlante de guerriers sauvages, armés de lances, et portant, suspendues à leurs arçons, des têtes sanglantes ; deux des femmes tendent les poings, en menaçant et en maudissant. Qu’il y ait quelques effets déjà connus dans les attitudes et dans les gestes dramatiques de ces groupes désespérés, cela n’est pas douteux ; mais cela importe peu. L’originalité d’un artiste consiste moins à inventer une attitude et un geste qu’à les bien ajuster dans son action et les bien approprier à son sujet. Il n’y a guère, en réalité, sur ce point, d’invention possible après quatre siècles de production pittoresque. La plupart des figures de Delacroix se pourraient retrouver chez Le Brun, Rubens et ailleurs ; elles ne lui en appartiennent pas moins comme elles ont appartenu à ses prédécesseurs, parce que leurs génies différens, en leur infusant leur âme particulière, les ont complètement transformées. M. Gabriel Ferrier s’est suffisamment approprié ses réminiscences par une facture, parfois dure et sèche, mais énergique et résolue. La vigueur brutale qu’il a mise à présenter cette allégorie tragique n’est point faite pour nous déplaire. Au milieu de toutes les pâles fadaises qui révèlent l’alanguissement général, une protestation violente comme celle de M. Ferrier devient intéressante et respectable.

Puisqu’il s’agit d’allégories, signalons-en quelques-unes. Les naturalistes ou se croyant tels ont beau dire que l’allégorie est un genre condamné et mort ; nous voyons bien que son défaut est d’être difficilement nouveau et facilement ennuyeux, mais nous voyons bien aussi que, pour l’expression de leur pensée, les artistes