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celui de Berlin avaient demandé au prince président en termes résolus, dans la note collective, dont M. de Persigny ignorait l’existence, de s’associer à leurs démarches à Berne et de participer à une intervention militaire éventuelle en Suisse.

Le général Ducos de La Hitte, surpris de l’attitude comminatoire des deux grandes puissances allemandes, avait répondu aux communications de M. de Hübner et de M. de Hatzfeld par une déclaration ferme et digne. Il avait représenté ce qu’il y aurait de dangereux et d’impolitique dans l’apparence d’une coalition contre la confédération helvétique, dans l’état de l’Europe et dans la situation particulière du président de la république, qui ne pouvait oublier l’hospitalité qu’il avait trouvée dans ce pays. Aider le gouvernement fédéral à se débarrasser d’hôtes incommodes, lui assurer des ressources pour le renvoi des réfugiés et fortifier le parti conservateur lui paraissait la seule voie raisonnable pour assurer la sécurité aux puissances limitrophes de la Suisse. Il n’admettait rien au-delà.

M. de Persigny approuva notre réponse au document dont il n’avait pas soupçonné l’existence ; il voulut bien la trouver suffisamment énergique. « Le gouvernement français, écrivait-il avec désinvolture, n’a rien à craindre en se montrant très ferme, très résolu. Tout le monde a le sentiment qu’il faut compter aujourd’hui avec la France et qu’un cri de guerre lancé de Paris, par un Napoléon, réveillerait à notre profit des passions d’une incalculable énergie. »

M. de Schleinitz ne se prêtait pas sans regrets aux secrets désirs de son souverain. Concilier l’union d’Erfurt, une œuvre libérale, fondée sur le principe des nationalités, avec une intervention réactionnaire servant de prétexte à des revendications de droit divin, lui paraissait inconséquent. Il savait d’ailleurs que la France, dont l’appui diplomatique lui était indispensable, ne permettrait à personne de porter atteinte à l’indépendance helvétique. Aussi faisait-il de son mieux pour corriger la fâcheuse impression produite par la note collective ; ne voulant la désavouer lui-même, il recourait, suivant son habitude, à des intermédiaires officieux. Il les chargeait de nous tranquilliser par des commentaires adoucissans. « Le ministre du roi, disaient-ils, déplore que le gouvernement français se soit mépris sur les sentimens qui ont inspiré la communication des deux cabinets ; il proteste de son vif désir d’entretenir avec la France les rapports les plus intimes ; non-seulement il approuve tout ce que le prince a fait et déjà obtenu du gouvernement fédéral, mais il est tout disposé à laisser au cabinet de l’Elysée seul le soin de régler le différend. »