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des nuances de plus en plus délicates et subtiles que son esprit, de plus en plus affiné, y rêve, y cherche, y trouve. A nous de saisir ces délicatesses et ces subtilités et, quand nous les sentons, de nous en réjouir. Ce qu’on peut dire de M. Henner, on peut le dire de M. Hébert, avec quelque chose en plus pour le sentiment de haute et mélancolique poésie, de noblesse morale et de souffrance intellectuelle, qu’il sait toujours mettre dans ses étranges apparitions, sous les bois, de femmes rêveuses et désillusionnées. Sa Solitaire, accoudée dans un fourré vert, pointillé de rayons d’or, est une pioche parente des grandes muses ou grandes dames que nous avons rencontrées précédemment dans le même site et dans la même attitude. Même langueur attristée dans ses yeux noirs, même fierté affable sur son visage pâle, même affaissement d’automne dans sa beauté finissante. A côté de MM. Hébert et Henner, virtuose plus séduisant et plus gai, d’une individualité non moins persistante, il est juste d’admirer M. Chaplin qui, dans ses Premières fleurs et son Portrait de miss W.., module de nouveau, avec des variations exquises, la chanson des lèvres roses, des fronts clairs, des épaules fraîches, des yeux brillans, des mousselines flottantes. Cette grâce est toute française et vraiment inimitable.

Toutes ces études, sauf l’Idylle de M. Bonnat, ne sont que des figures isolées, demi-vêtues ou drapées, presque toutes à mi-corps. Les difficultés augmentent, et le mérite aussi de l’artiste, lorsqu’il s’agit de placer des figures complètement nues dans un milieu déterminé, plus encore lorsqu’on doit les multiplier et les grouper, plus encore lorsqu’il faut faire jouer à ces groupes un rôle expressif ou décoratif dans l’ensemble d’une action imaginaire ou réelle. Pour le moment, les entraînemens d’une mode passagère qui se laisse prendre à des apparences d’innovations sans consistance, et les facilités périlleuses que trouvent les artistes à contenter à la fois le goût d’un public grossier et le goût des amateurs blasés, en copiant un coin quelconque de la vie réelle, les détournent sans doute de ces études sérieuses de la forme humaine ; mais il y faudra revenir. La supériorité actuelle de l’école française, même dans les genres les plus modernes, même dans la peinture familière et dans la peinture de paysage, n’est due au fond qu’à la supériorité de l’enseignement classique par lequel elle a passé. En fait de sensibilité, de sincérité, de naïveté, les étrangers nous valent bien, je dirais pour un rien qu’ils valent mieux ; ce qui leur manque encore, c’est cette forte éducation, à laquelle on voudrait sottement se soustraire, qu’ont reçue de près ou de loin tous nos peintres depuis trois cents ans, cette