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était membre de la chambre, M. de Persigny était agité par le besoin de faire, et surtout de faire vite; il entendait régler en un tour de main, à la confusion de ses prédécesseurs, toutes les questions pendantes. Il avait hâte, d’ailleurs, de reprendre sa place auprès du prince, aux prises avec une assemblée passionnée, peu disposée à compter avec son pouvoir. Il estimait, le sachant sujet aux défaillances, qu’il aurait besoin d’être soutenu, stimulé. Mais, avant de regagner Paris, il tenait à affirmer ses aptitudes diplomatiques, à montrer qu’il était de taille à mener de front à la fois nos affaires intérieures et notre politique extérieure. C’est dans cette pensée qu’à son débotté à Berlin il avait fébrilement soulevé l’affaire des duchés de l’Elbe, momentanément assoupie, et que la Prusse n’avait aucune envie de résoudre, car, dans ses calculs, le moyen le plus sûr de faire renoncer le Danemark au Slesvig, c’était d’y maintenir l’anarchie par les revendications nationales de ses partisans et de lasser les puissances par d’interminables négociations. Plus avisé, il ne se serait pas immiscé intempestivement dans un démêlé dont la solution n’avait rien d’urgent. Les stratèges n’éparpillent pas leur action; ils ont un objectif sur lequel ils concentrent toutes leurs forces. S’il avait connu son terrain, il se serait appliqué, avant tout, à inspirer confiance, à dissiper les préventions par la persuasion, il eût réservé son influence et son autorité pour régler à l’amiable, sans esclandre, la question, brûlante à ce moment, des révolutionnaires réfugiés en Suisse ; elle primait toutes les autres, elle s’imposait à notre politique aussi bien qu’aux sentimens reconnaissans de Louis Napoléon.

Être persona grata est l’ambition de tout diplomate ; ce n’était pas celle de M. de Persigny. Il tenait moins à plaire qu’à se faire craindre. Son immixtion inopportune dans l’affaire danoise, son altercation avec le prince Charles et ses discussions chauvines avec les membres du corps diplomatique l’avaient servi à souhait. Il était redouté. Les ministres l’évitaient et recouraient à des intermédiaires officieux pour traiter avec lui. Sa première passe d’armes avec le général de Brandebourg ne fut pas heureuse; elle tourna à sa confusion. Il lui reprochait un manque d’égards, une infraction aux usages diplomatiques. « Vous avez, de compte à demi avec l’Autriche, disait-il, adressé à mon gouvernement une note collective sur la question des réfugiés sans m’en prévenir; j’ai lieu d’en être surpris. » C’était un pas de clerc; la note avait été envoyée à Paris bien avant son arrivée à Berlin, et si on ne lui en avait pas parlé, c’est qu’on était loin de soupçonner qu’il l’ignorât.

Le président du conseil avait beau jeu ; il aurait pu, à juste